.
Le tombeau de Léon V de Lusignan, le gisant d'un roi d'Arménie à Saint-Denis
On trouve dans la basilique de Saint-Denis le gisant d'un roi étranger appartenant à une dynastie d'origine française : c'est celui de Léon V de Lusignan, roi de la "Petite" Arménie.
C'est le dernier vestige d'un tombeau qui se trouvait dans l'église du couvent des Célestins à Paris. Le gisant a été amené à Saint-Denis après 1815.
Le dernier " royaume d'Arménie " sur ses terres historiques fut détruit par Byzance en 1045. Toutefois, un nouveau royaume d’Arménie avait été créé en Cilicie, face à l'île de Chypre en 1098, par les croisés.
En 1373, c'est Léon de Lusignan, neveu du roi Guy, qui fut appelé sur le trône et ceignit la couronne en 1374. Mais en avril 1375,les Mamelouks s'emparèrent de la capitale, scellant la fin du dernier royaume d'Arménie. Capturé, Léon V fut emmené au Caire, où il resta en liberté surveillée jusqu’à ce que le roi Jean de Castille envoie au sultan une rançon : Léon V fut libéré en octobre 1382. Il fut honoré en Castille par son libérateur, qui le fit " seigneur de Madrid, Andujar et Villareal ". L'ex roi d'Arménie tenta ensuite de persuader les cours ibériques, française et anglaise d'organiser une nouvelle croisade afin de récupérer à la fois son trône arménien et ses biens chypriotes.
Léon reste jusqu'à sa mort en 1393 à la cour du roi de France à Paris et mourut le 29 novembre 1393.
Il fut enterré au couvent des Célestins. Ce choix des Célestins comme dernière demeure s'explique par le fait que Léon V résidait dans l'hôtel des Tournelles, proche de la demeure favorite des rois de France, Charles V et Charles VI, l'hôtel Saint-Pol, dans le quartier actuel du Marais. Le couvent était d'ailleurs comblé de faveurs par ces deux monarques et par tous les grands seigneurs qui gravitaient autour de la cour royale.
En tout cas, Léon V reçut des funérailles somptueuses auxquelles correspond la qualité du tombeau.
Son titre passa à son cousin issu de germains Jacques Ier, qui inaugura la lignée des " rois de Jérusalem, de Chypre et d'Arménie " : deux titres fictifs sur trois. Son petit-fils Jean II mourut en 1458, laissant une fille légitime, Charlotte, qui fut détrônée en 1460 par son frère bâtard Jacques. En 1489 la reine Catherine Cornaro, veuve de Jacques, remit l'île à la république de Venise.
Epouse du prince Louis de Savoie, Charlotte conserva son titre, qu'elle transmit à son neveu Charles. Les Savoie devinrent rois de Piémont, et en 1861 rois d'Italie. Ils renoncèrent alors aux titres fictifs ci-dessus.
Le tombeau de Guy de Lusignan était placé dans le chœur de l'église des Célestins, à droite de l'autel majeur.
Tombeau de Léon V de Lusignan au XVIIème siècle, dans le choeur de l'église des Célestins, à Paris
(dessin, collection Gaignières, Bodleian Library d’Oxford) Cet emplacement fut bouleversés à cause de remaniements ayant eu lieu vers 1600.
Puis vinrent la destruction d'une grande partie de son décor pendant la Révolution. La tombe fut profanée vers 1793. Les bâtiments du couvent disparurent dans la foulée (dont le magnifique cloître), tandis que l'église fut abattue vers 1840 - à l'emplacement se trouve aujourd'hui la caserne de la Garde républicaine.
Toutefois, le gisant de marbre blanc et sa dalle de marbre noir furent sauvés par Alexandre Lenoir, qui les plaça dans son Musée des monuments français, puis dans la basilique de Saint-Denis après 1817.
L'œuvre est d’une qualité équivalente à celle des tombeaux des rois de France de la fin du XIVe siècle.
Les accessoires portés par le souverain, c'est-à-dire la couronne fleuronnée et le sceptre tenu de la main droite, aujourd'hui brisé, soulignent la dignité du défunt. Il en est de même de l’inscription gravée sur la dalle noire :
" Cy gist tres noble et excellent prince Leon de Lizingnen quint, roy latin du royaume d'Armenie qui rendit l'ame a Dieu a Paris le XXIXe jour de novembre l'an de grace M.CCC.IIIIXX.XIII.
Priez pour luy " Soit :
“ Ci-gît très noble et excellent prince Léon de Lusignan V, roi latin du royaume d'Arménie, qui rendit l'âme à Dieu à Paris le 29e jour de novembre de l'an de grâce 1393.
Priez pour lui ”Quant aux deux lions sur lesquels reposent ses pieds sont un symbole de puissance, probablement sans lien avec les armoiries du prince. En tout cas, il est assez courant.
Plus original, dans la main gauche, Léon V ne tient pas un autre attribut du pouvoir royal, un globe nicéphore ou une main de justice, comme le montraient de manière systématique les effigies des rois de France depuis quelque temps. Il tient une paire de gants, attribut royal inexistant, mais que l'on rencontrait dans de nombreuses dalles gravées de grands seigneurs, notamment au XIIIe siècle, souvent accompagnés d'autres symboles de la chasse.
Ils invitent donc à voir dans le défunt un modèle d'accomplissement courtois et sportif.
On trouve toutefois les gants sur les tombeaux d'un frère et d'un fils de saint Louis et, dans le cas du premier, le personnage porte aussi un sceptre comme Léon V. La présence des gants sur le gisant du roi d'Arménie constitue donc probablement, comme pour ces parents des rois de France qui n'ont pas régné, le moyen d'exprimer à la fois sa haute dignité et une situation un peu inférieure à celle du roi. En effet, Léon V ou son sculpteur ne peuvent guère avoir choisi ce type de représentation sans une autorisation du roi de France Charles VI ou de ses conseillers.
La qualité d'exécution du gisant, certainement réalisé avant la mort de Léon de Lusignan, correspond bien à l'aisance matérielle du prince déchu. L'artiste, d'un grand talent, a su conférer à l'effigie une grande noblesse par l'arrangement solennel et austère du drapé, les traits amaigris et vieillis du visage, illustrant l'amertume de l'exil et de l'échec final.