" On voyait autrefois, près de Paris, des sépultures fameuses entre les
sépultures des hommes. Les étrangers venaient en foule visiter les
merveilles de Saint-Denis. Ils y puisaient une profonde vénération pour
la France, et s'en retournaient en disant en dedans d'eux-mêmes, comme
saint Grégoire : Ce royaume est réellement le plus grand parmi les
nations ; mais il s'est élevé un vent de la colère autour de l'édifice
de la Mort ; les flots des peuples ont été poussés sur lui, et les
hommes étonnés se demandent encore : Comment le temple d'Ammon a disparu
sous les sables des déserts (...)
La sépulture royale de Saint-Denis se trouvait au centre de notre
puissance et de notre luxe, comme un trésor où l'on déposait les débris
du temps et la surabondance des grandeurs de l'empire français.
C'est là que venaient tour à tour s'engloutir les rois de la France (...)
D'où vient ce profond silence ? D'où vient que vous êtes tous muets
sous ces voûtes ? Vous secouez vos têtes royales, d'où tombe un nuage
de poussière ; vos yeux se referment, et vous vous recouchez lentement
dans vos cercueils ! (...)
Mais où nous entraîne la description de ces tombeaux déjà effacés de la
terre ? Elles ne sont plus, ces sépultures ! Les petits enfants se sont
joués avec les os des puissants monarques : Saint-Denis est désert ;
l'oiseau l'a pris pour passage, l'herbe croît sur ses autels brisés : et
au lieu du cantique de la mort, qui retentissait sous ses dômes, on
n'entend plus que les gouttes de pluie qui tombent par son toit
découvert, la chute de quelque pierre qui se détache de ses murs en
ruine, ou le son de son horloge, qui va roulant dans les tombeaux vides
et les souterrains dévastés..."
François-René de Chateaubriand, Génie du Christianisme, IV, L.II, Ch.IX