L’église du XIII°s
Le besoin d’espace pour la nécropole royale imposa la reprise des travaux de reconstruction là où Suger les avait arrêtés. L’église présentait jusqu’ici une nef carolingienne, vétuste, coincée entre l’avant-corps et le chevet de Suger. Elle n’avait donc été reconstruite au XII°s qu’à ses deux extrémités et paraissait désormais dépassée par les travaux de Chartres, Amiens, Reims, Bourges, Paris.
Saint-Denis qui avait été un modèle et un prototype pour toutes les grandes cathédrales du temps de Suger, était désormais devancée par ses « copies ».
L’abbaye royale se devait de réagir. L’intérêt porté par le Roi et la situation confortable des revenus du monastère vont permettre ce chantier, mais sur un autre plan que celui de Suger et plus conforme au style du XIII°s.
La construction du choeur et de la nef est séparée par près de 40 ans de distance.
On ne le voit pas car l'oeil ne le perçoit pas, les architectes successifs s'étant efforcés de créer un volume homogène, bien rythmé par les supports qui filent sans interruption du sol jusqu'à la retombée des ogives. On entreprit donc la reconstruction de la nef et d’un vaste transept, ainsi que le rehaussement du chœur de Suger et la reconstruction des deux tours de la façade, dont la flèche Nord qui culminera à 86 m de hauteur (elle sera détruite en 1846). De l’église du XII°s, on ne conserve donc que la façade et la partie basse du chevet.
Ces travaux de grande ampleur ont été menés de 1231 à 1281, soit en moins de 50 ans, ce qui est un exploit technique. Tout autour du bâtiment, les arcs-boutants, semblables à des échafaudages de pierre, semblent tous jaillir de terre, et reçoivent les poussées des lourdes et hautes voûtes.
C’est que la reconstruction fut entreprise grâce à l’association de trois figures d’exception : le jeune roi Louis IX (le futur saint Louis), sa mère Blanche de Castille, régente durant la minorité de Louis et durant sa première croisade, et le nouveau et prestigieux abbé de Saint-Denis, Eudes Clément (1228-1245). Ce dernier estimait sans doute que l’abbaye avait un rôle politique à jouer dans les premières années de la minorité de Louis IX pour réaffirmer l’antiquité et la dignité de la famille capétienne.
De fait, après l’achèvement du grand transept dans les années 1260, le nouveau programme des monuments funéraires royaux put suggérer un héritage direct du lignage royal capétien formé par l’union des maisons mérovingienne et carolingienne, faisant ainsi remonter la dynastie à la naissance du royaume des Francs.
Le transept aux tombeaux royaux faisait ainsi le lien entre le haut chœur où se trouvaient les reliques à l’Est, et le chœur des moines à l’Ouest où retentissaient quotidiennement les prière au saint patron de la monarchie.
La première campagne de travauxElle fut brève et menée sous la direction d’un architecte inconnu. On en voit encore des restes dans la crypte et au rond-point du chœur. Quatre piles solides furent ajoutées dans les bas-côtés de la crypte, de part et d’autre de l’actuel caveau royal, pour supporter le nouveau chœur.
La superstructure du chœur du XII°s fut rasée, mais on laissa intacte les voûtes du déambulatoire ainsi que les chapelles rayonnantes.
Tandis qu’on glissait des échafaudages sous les voûtes du XII°s dans le déambulatoire et les chapelles rayonnantes, les dix piles cylindriques du rond-point furent entièrement refaites et les grandes arcades reconstruites.
Ce premier architecte est à l’origine du plan très étrange du transept et son successeur a respecté son projet. Mais celui-ci était très traditionnel, coupé horizontalement au niveau des chapiteaux et des ouvertures relativement simples.
L'abside de Suger, reprise, a été surmontée au début du XIII° s.
par un choeur gothique nouveau, d'une merveilleuse élégance La deuxième campagneElle se fit sous la direction d’un maître plus « moderne ». S’agissait-il de Pierre de Montreuil, l’architecte de la Sainte-Chapelle et de Notre Dame ? On l’a longtemps pensé mais cette hypothèse n’est plus guère soutenue aujourd’hui. Il s’agit plutôt d’un maître venu de l’Est, sans doute de Champagne, et qui a aussi travaillé à la chapelle royale du château de Saint-Germain-en-Laye.
Tout au plus Pierre de Montreuil a-t-il pu intervenir dans le dessin des fenêtres de la claire-voie dans les trois travées orientales du côté Sud de la nef qui remonte probablement aux années 1252-1254. Car ce changement qui favorise un effet plus vertical et plus élancé dans le dessin des entrelacs, s’accorde avec les formes du mur terminal du transept Nord de Notre-Dame de Paris, ainsi qu’aux fenêtres de la chapelle orientale ajoutée sur le côté septentrional de la nef de Notre-Dame (vers 1245-1250). Mais l’intervention de Pierre de Montreuil n’a pu être que très ponctuelle.
On conserva le déambulatoire de Suger et les chapelles rayonnantes. On détruisit en revanche les parties hautes du chœur de Suger.
L’abbé Eudes Clément voulut que le nouveau plan puisse s’ajuster à la hauteur de la façade de Suger, avec un chœur et un transept plus hauts.
Du coup, les colonnes de Suger furent enlevées et remplacées par des supports plus lourds composés d’une série de tambours horizontaux avec des fûts en saillie orientés vers l’autel.
La croisée du transept, plus large que le chœur, entraîna un évasement de la première travée du chœur vers le transept à l’Ouest, aussi bien du côté Nord que du côté Sud. Cette audacieuse travée est évasée en étant portée sur des piles de hauteur inégale.
L’idée du nouvel architecte était de raccorder les constructions conservées de l’église de Suger, abside et narthex, avec le plan plus large du nouvel édifice.
Le « collage » du transept et de la nouvelle nef à l’ancien chevet aboutit d’ailleurs à une astuce de l’architecte que seul un examen attentif peut repérer : les arcs des arcades s’élèvent au fur et à mesure que l’on se dirige vers l’Ouest ! En outre, la base du triforium monte aussi dans chaque travée en direction des piliers de la croisée.
On voit bien ici l'évasement de la première travée du choeur, qui n'est pas dans l'alignement des autres.
Et plus on va vers l'Ouest, et plus les arcs des arcades s'élèvent ! Les dimensions changent donc graduellement depuis les volumes intimes du chœur de Suger, jusqu’au projet monumental et définitif du transept et de la nef.
Ce changement est accompli avec une grande subtilité pour la transition ne puisse pas se voir. Les piliers de croisée constituent le point où l’élévation « élastique » ajustée au chevet de Suger prend fin, et laissent la place à l’élévation « idéale » du reste de l’église, c'est-à-dire de la nouvelle nef.
Les rosaces du transept constituent une impressionnante nouveauté avec un diamètre de 12 m environ. Elles sont contenues dans un carré qui délimite le mur supérieur du transept ; toute la surface est conçue comme un écran de meneaux en fines pierres dans une surface vitrée. Les rosaces semblent ainsi flotter, suspendues au-dessus des volumes intérieurs du transept. La rose Nord, modèle de celle de Notre-Dame de Paris, est antérieure à la rose Sud dont les trilobes sont disposés avec une plus grande liberté sans s’inscrire dans des arcs d’encadrement.
Il y a sept travées dans la nef, croisées d’ogives simples, clés de voûte ornées de feuillages et de têtes d’abbés ou de rois.
Chaque pilier a 12 colonnettes : les quatre piles du transept en ont seize et montent d’un seul jet jusqu’à la voûte.
En fait, le pilier cantonné, utilisé dans les principales cathédrales gothiques, a été ici remplacé par un support composé d’un massif de colonnettes reposant sur un cœur en forme de diamant
Le triforium est « à jour », donc très lumineux, constitué de baies géminées animées de trilobes dans leurs réseaux évidées
L’éclairage s’intensifie encore davantage à la partie supérieure, grâce à d’imposantes fenêtres dont les lancettes sont superposées aux baies du triforium. Elles sont couronnées par trois roses superposées en triangle.
Ces deux niveaux supérieurs sont unis par de fines colonnettes.
Tous ces caractères, verticalisme des supports composés, triforium ajouré, liaison des niveaux supérieurs, jeux de trilobes et de polylobes dans des encadrements évidés, sont très représentatifs du style rayonnant. Saint-Denis tranche avec les immenses cathédrales de la génération précédente en abandonnant le gigantisme et en privilégiant une structure plus subtile et raffinée.