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Saint-Denis et les catafalques royaux et princiers aux âges baroque et classique
Les funérailles d’Henri IV furent les dernières funérailles royales à s’ordonner autour d’une longue et impressionnante procession publique accompagnant, de Paris à Saint-Denis, le convoi funèbre.
Mais ce qui fut simplifié en procession à partir du règne de Louis XIII fut en revanche renforcé et enrichi sous Louis XIV à l’intérieur de l’église, autour du mausolée, du «
castrum doloris », par une grandiose exaltation baroque du pouvoir absolu du Très Chrétien. La période rocaille puis les débuts du néo-classicisme ne remirent pas en cause cette évolution dominante.
Cérémonie funèbre de Marie Thérèse d'Espagne, épouse du dauphin Louis, fils de Louis XV, le 5 septembre 1746 à Saint-Denis,
par Charles-Nicolas Cochin, dit le Jeune ; gravure - Giraudon.
Le cadre est ici le choeur et la croisée du transept ;
On remarquera à gauche le maître-autel. Celui-ci est surmonté de la croix de Suger (en petit, juste derrière l'ange) La chapelle ardente d'Henri IV dans le choeur de la basilique de Saint-DenisPour le roi Henri IV, une chapelle ardente avait été érigée au centre du chœur. L’effigie en cire et en cuir du monarque reposait sur le cercueil, entouré de 1000 cierges qui projetaient une faible lueur sur les gisants et tombeaux des rois. L’ensemble du dispositif devait avoir un aspect imposant et fantastique. Puis on retira l’effigie le troisième jour et le cercueil demeura seul dans la chapelle ardente, couvert du drap d’or avec la couronne, le sceptre et la main de justice reposant dessus. Après la grand messe funèbre, en présence des corps constitués du royaume le 1° juillet 1610, les maîtres de cérémonie retirèrent la couronne, le sceptre et la main de justice et les remirent aux princes destinés à les porter. Ils ôtèrent les draps mortuaires d’or et de velours. Les gentilshommes de la Chambre et les archers levèrent alors le cercueil et le portèrent en bas du couloir d’accès à la crypte où il attendrait son successeur pour être vraiment placé dans ladite crypte. Le cardinal de Joyeuse, au bord de la fosse, fit les oraisons et les purifications. Il se tint ensuite sur un côté, le comte de Saint-Pol représentant le grand-maître de l’autre avec les maîtres des cérémonies près de lui. C’est alors que le roi d’armes, au milieu, appela les officiers portant les pièces d’honneur. Furent déposées au bord de la fosse :
- les cottes d’armes des héraults
- l’enseigne des Suisses
- les quatre enseignes des Gardes du corps
- les deux enseignes des Cent gentilshommes
- les éperons
- les gantelets
- l’écu du roi
- la cotte d’armes
- le heaume timbré à la royale
- le panon du roi
- l’épée royale
- la bannière de France
- les bâtons des maîtres d’hôtel
- et celui du Grand-Maître
- la main de justice
-le sceptre royal
- la couronne royale
D’autres rois d’armes les disposèrent dans la fosse.
Ce rituel restait donc traditionnel, propre à Saint-Denis.
Le catafalque de Louis XIII Louis XIII, lui, contrairement à ses vœux de funérailles dépouillées, eut bien droit à Saint-Denis à un service solennel avec exhibition des reproduction des regalia, même si le rituel de l'effigie disparut complètement.
Le corps avait d’abord été conduit dans le chœur, le cercueil restant exposé durant 33 jours (ce qui ne s’était encore produit pour aucun roi). Puis trois semaines avant les obsèques, on dressa des échafauds tout autour du chœur avec au milieu un catafalque de 48 pieds de haut sur 15 de long et 9 de large. La bière, entourée de six cierges blancs, y reposait sous un haut dais tendu de deux bandes, l'une de velours noir croisé d’argent et l’autre de drap d’or. Recouverte d'un grand poêle, elle portait des coussins de velours violet sur lesquels furent posés les deux couronnes, le sceptre et la main de justice couverts d’un crêpe.
Le manteau royal fut étendu aux pieds de la dépouille.
Et comme pour Henri IV, il y eut déposition des honneurs sur la tombe, ainsi que le bris des bâtons des charges de la Maison du Roi, avec la rituelle formule : « Le Roi est mort, vive le Roi ». Il s’agissait donc bien de funérailles toujours royales, même si la dimension religieuse sortait renforcée de la volonté de simplicité de Louis XIII, roi dévôt.
Dessin d'un projet de catafalque pour Louis XIII, par Francesco Cecchi-Conti (vers 1643)
British Museum
Ce projet n'a pas été réalisé ; il s'opposait par trop à la volonté de simplicité émise par le monarque pour ses funérailles.
Mais il préfigure bien ce qui allait devenir la norme dans la 2° moitié du siècle. Chose étrange, si Saint-Denis connut une majestueuse sobriété et garda son monopole des inhumations royales, elle perdit alors son monopole en matière de cérémonial et le ton qu’elle donnait aux églises du royaume pour les messes dites pour le défunt monarque.
En effet, les jésuites déployèrent à cette occasion dans toutes leurs églises un faste exceptionnel et jusqu’ici inédit, partout où étaient célébrés des services à la mémoire du roi. Il n’est d’ailleurs pas sûr que Louis le Juste aurait apprécié une telle débauche d’ornements à sa mémoire, qui allait pourtant devenir monnaie courante au milieu du siècle.
Le catafalque joue alors un rôle primordial.
De la splendeur nouvelle des catafalques princiers : le vent d'ItalieC’est que le concile de Trente (1545-1563) avait renforcé l’importance des obsèques et des grandes pompes funèbres. Dans ses canons, le concile rappelle la nécessité de prier pour les âmes des morts. Le lustre donné aux cérémonies sert à consoler les vivants et à magnifier l’espérance en la vie éternelle.
Un grand mouvement de renouveau des pompes funèbres se fait d’ailleurs sentir en Italie à la fin du XVIe siècle. La société aristocratique est confrontée lors du décès de ses membres à la faiblesse de la vie et de la fortune, et à la fin de toute chose. L’art des pompes funèbres est un moyen d’y remédier par delà la mort. Il se répand rapidement dans toute l’Europe, en raison notamment du terrain favorable entretenu depuis le Moyen Âge par l’exposition des défunts, d’où vient le terme « représentation » souvent utilisé. Pour la représentation des corps, squelettes, êtres souffrants et agonisants, l’amélioration de la connaissance scientifique permet la recherche d’un plus grand réalisme anatomique, empreint également d’une sensibilité pathétique, baroque.
Les premières grandes pompes funèbres sont connues par la diffusion de recueils gravés, pour le grand-duc Cosme 1er de Médicis à Florence en 1574, et pour Sixte Quint à Rome en 1590. C’est au début du XVIIe siècle, à Florence, que se précise le style iconographique des pompes funèbres, avec l’exigence d’unité et d’un déploiement d’inventions autour du cénotaphe pour former le castrum doloris, qui s’apparente parfois à un véritable tempietto.
A Rome, notamment, de grandioses mises en scène marquaient les funérailles pontificales dès 1590 : lors de la mort de Sixte Quint, Dominique Fontana avait érigé, en guise de catafalque, un vaste monument éphémère donnant l’illusion du marbre. Il avait une estrade de huit marches, une rotonde à arcades, en avant desquelles on voyait des statues allégoriques : la Religion, l’Autorité pontificale, la Charité, la Magnificence, la Providence, et bien sûr la Foi. La corniche portait en réduction des figures de la colonne Trajane, de la colonne Antonine et de quatre obélisques. Au sommet, le catafalque se terminait par une reproduction de la coupole de Saint-Pierre de Rome ( !!!) et, au faîte du lanternon, la croix semblait bénir un lit mortuaire soutenu par des lions. C’est là que se trouvait le cercueil du pape, veillé par quatre statues des Vertus cardinales : Justice, Prudence, Tempérance, et Force.
La guerre des catafalques ; le rôle des Jésuites : Italie 1 / France 0Sans atteindre une telle démesure, les églises jésuites du royaume de France s’en inspirèrent. Sur le modèle du baroque italien, nos jésuites dressèrent donc pour Louis XIII d’immenses mausolées propres à manifester, de manière spectaculaire, le triomphe de la vraie foi.
En 1643, à Cahors, un mausolée octogonal à quatre étages fut édifié pour Louis XIII ; à Pau, quatre consoles soutenant une pyramide entouraient la représentation ; à Rouen, un catafalque ovale de 17 pieds de long sur 12 de large, porté par quatre colonnes corinthiennes, occupait le chœur.
A Paris, dans l’église Saint-Louis où allait reposer le cœur du monarque, une installation à trois étages fut dressée à la croisée du transept. Les pompes funèbres étaient devenues l’occasion de mettre en scène un grand spectacle sur une mort édifiante, propre à exalter la monarchie du Très Chrétien.
Dans la seconde moitié du XVII°s, cette « mort spectacle » ayant pour but d’édifier et d’émouvoir, devint le cœur même des cérémonies funèbres pour les plus hauts personnages du royaume :
- en 1666 pour Anne d’Autriche, mère de Louis XIV ;
- en 1672 pour le chancelier Séguier ;
- en 1675 pour le maréchal de Turenne (qui, de par sa gloire militaire, eut l’honneur d’une sépulture à Saint-Denis, auprès des rois) ;
S. Leclerc, d’après C. Le Brun, « Représentation du mausolée ». Planche extraite de Pompe funèbre du chancelier Séguier en 1672
Bibliothèque de l’INHA Toutefois, la France continuait à paraître en retrait par rapport à l’Italie. Charles Vigarini constatait, à propos des obsèques d’Anne d’Autriche, que les décorateurs parisiens ne réalisaient rien de convenable. Ce fut une fois de plus la province, dominée par les jésuites, qui donna des leçons à Paris : ainsi, à Grenoble, le père Claude-François Ménestrier, familier des fêtes funèbres italiennes, fit réaliser pour la mort d’Anne d’Autriche un magnifique cénotaphe où l’on voyait «
le changement des grâces trompeuses en autant de squelettes qui montrent ce que sont les grâces de ce monde ou de ce qu’elles seront un jour ». La Vie, l’Honneur, la Richesse, voici les grâces porteuses de leurs devises qui s’opposaient aux grâces immortelles, Vertu, Renommée, Eternité. Et autour du tombeau, des palmes se mêlaient à des branches de cèdres, symboles de l’éternité très heureuse.
A Saint-Denis, c’est le 20 novembre 1669 que fut érigée le premier édifice funéraire spectaculaire, à l’italienne, lors des funérailles d’Henriette-Marie de France, fille d’Henri IV et veuve du roi d’Angleterre Charles I°. Ce mausolée fut d’ailleurs transporté à Notre-Dame pour le service solennel du 25 novembre suivant.
C’est la première fois qu’une telle construction apparaissait, aux frais de la couronne ; ce sont les Menus plaisirs qui en avaient organisé le financement et la réalisation.
Il s'agissait d'un attique à huit arcades au-dessus d’un édifice octostyle formant un octaèdre oblong. La description assez minutieuse qu’en donna la Gazette détaillait les couleurs de chaque élément de l’architecture : de l’or, du bronze, des marbres feints. Autour du mausolée, quatre figures de Vertus, de marbre blanc, grandeur nature, s’adossaient à des pyramides. Pour ce coup d’essai, les Menus offraient un catafalque digne des précédents jésuites.
Jean Marot, Mausolee qui a esté faict par ordre du Roy aux obseques et pompes funebres de la Reyne de / la Grande Bretaigne, en l’Eglise de l’abbaye de St Denis en France le 20. Novembre 1669
BNF, Département des estampes et de la photographie Un autre mausolée fut dressé à Saint-Denis pour sa fille Madame, Henriette-Anne Stuart, pour le 21 août 1670 :
Jean Lepautre, d’après Henri Gissey, Pompe funèbre de Madame, Henriette-Anne d’Angleterre, à Saint-Denis, le 21 août 1670
BNF, Département des estampes et de la photographie C’est lors de ces obsèques que Bossuet prononça une si célèbre oraison funèbre : «
O nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! » L’éloquence spectaculaire de l’évêque de Condom trouvait dans les décors de la basilique un écrin exceptionnel, et l’alliance des uns et de l’autre devait susciter une émotion intense, tous les effets théâtraux se conjuguant pour ébranler les âmes. Le catafalque d’Henriette-Anne d’Angleterre était plus modeste que celui d’Henriette-Marie de France, mère de la défunte, quelques mois plus tôt. C’était une structure légère, sans architecture : sur un socle de quelques marches, on avait posé la représentation ; aux angles, sur des piédestaux, huit statues s’adossaient à des autels, la Noblesse, la Jeunesse, la Poésie, la Musique, la Foi, l’Espérance, la Force et la Douceur. La décoration dut surtout impressionner par l’utilisation massive des tentures qui masquaient totalement la lumière du jour.
Mais c’est en 1683 que les pompes baroques les plus spectaculaires furent organisées, pour les obsèques de la reine Marie Thérèse, épouse de Louis XIV. Elles marquèrent un apogée dans le règne de Louis XIV. Plus aucun autre grand, pas même le Roi-soleil, n’aura droit à une telle quantité de de décors éphémères. La grande urne soutenue par quatre figures drapées rappelant les vertus de la reine (Foi, Espérance, Charité, Piété) environnées de torchères, impressionna le public. Jean Bérain, « dessinateur de la chambre et du cabinet du roi », décorateur des pompes funèbres de la Maison du Roi, était l’architecte de cette grande « machine ».
Pourtant, le père Ménestrier, en bon jésuite s’y connaissant (et peut-être un peu jaloux…) trouva ce catafalque pauvre d’inventions et attaché de grandes « incongruités ». Il publia aussi sec un traité intitulé Décorations funèbres dans lequel il tenta de prouver que de tels spectacles étaient une occasion inépuisable de trouvailles en inventions visuelles :
«
On peut aussi dresser des temples, des pyramides, des autels, des triomphes, des trophées, un camp, un palais, un chemin, un théâtre, une galerie et les faire les temples de la Gloire, de la Piété, les triomphes des Vertus, le camp de la victoire, le théâtre de la douleur, le palais de l’honneur, le chemin de l’immortalité pour le héros, la voie de lait qui paraît au ciel, l’autel des sacrifices, des parfums, etc… ».
Mais on retrouvait souvent des constantes : comportant souvent deux ou trois étages, dont l’un réservé à l’urne funéraire, les
castra doloris sont surmontés d’un baldaquin ou d’un dais de draperie noir soutenu par des anges en plein vol. Autour du cénotaphe, des squelettes drapés d’un suaire portent les luminaires. Les murs sont recouverts de tentures noires, peintures et éléments héraldiques.
Bref, la tradition française adapte le baroque italien. De grands artistes y concourent, comme Le Brun, qui intervient pour la pompe funèbre du chancelier Séguier, ou Jean Berain, on l’a vu, dessinateur de la Chambre du roi, pour celles de Turenne et de la reine Marie-Thérèse. Tout concourt à l’apothéose du défunt. Les gravures livrent le plus fidèlement possible ces décorations dont il ne faut pas oublier la forte dimension religieuse rehaussée par la musique, l’éclairage du sanctuaire et la richesse de la liturgie.
Deux logiques différentes ont donc coexisté durant cette période :
- celle de la tradition dionysienne, où l’on considère que la majesté des funérailles se suffit à elle-même et que les obsèques du prince n’ont pas à tourner à une pièce d’opéra,
- et celle des Jésuites qui y voyaient au contraire une occasion d’édifier les masses en y exposant les vertus chrétiennes du monarque à des fins pédagogiques.
Néanmoins, malgré leur différend, Ménestrier et Bérain ont bien accepté de collaborer pour les obsèques du prince de Condé, pour la grandiose et somptueuse cérémonie du 10 mars 1687 à Notre-Dame de Paris. Spectacle pour le coup à « grande machine » théâtrale et baroque au service de l’hommage au défunt.
On comprend donc la perplexité du maître des cérémonies Desgranges, lors des obsèques du Grand dauphin en 1711. Il notait dans le procès-verbal des services funèbres une interrogation pour avoir «
s’il convenait mieux de prendre l’ancien usage des ornements et tentures qu’on faisait en pareil cas, et qu’on avait fait en dernier lieu pour le feu Roy et pour la Reyne mère [ Louis XIII en 1643 et Anne d’Autriche en 1666 ] ou si on suivrait la manière introduite dans les derniers temps par Bérain, dessinateur du Cabinet du Roy qui, depuis plusieurs années, s’était mis dans le goût de faire des mausolées et des décorations qui paraissaient plus convenables à un théâtre d’opéra qu’à une cérémonie aussi sérieuse que celle-là. »
Catafalque réalisé pour la cérémonie funèbre de Mgr Louis de Bourbon, dauphin de France, décédé le 18 février 1712.
RMH
Le catafalque de Louis XIVPour Louis XIV, le cercueil royal avait été déposé dans une chapelle ardente qui avait été préparé au chevet de la basilique de Saint-Denis, et où les Vêpres des morts étaient chantées. Quand le cercueil quitta la chapelle ardenteil prit place dans l’église au premier étage de l'immense catafalque dont le volume évoquait un obélisque reposant sur un lourd coffrage. Les degrés étaient garnis de cierges ardents, pourvus aux angles de figures allégoriques et, au registre inférieur, de statues colossales symbolisant les vertus du prince décédé. Une draperie noire, semée de fleurs de lys, de larmes, et de cartouches d'argent brodé, garnissait l'ensemble.
Catafalque de Louis XIV dans la chambre ardente installée au château de Versailles, dans le salon de Mercure, à partir du 1° septembre 1715.
Attention : il ne s'agit pas du grand catafalque qui fut installé à Saint-Denis et à Notre-Dame.
GiraudonEtrange allégorie de la mort de Louis XIV, en forme de catafalque (ou de tombeau monumental ?) idéal.
Le Roi-soleil semble y figurer avec la barbe de Charlemagne ... ! Les catafalques princiers au XVIII°sLes grandes pompes funèbres royales dont l’essor a débuté sous le règne de Louis XIV continuent à rythmer le XVIIIe siècle. Leur ordonnance ne change pas, mais leur nombre augmente. On en compte une trentaine entre 1763 et 1790, ce qui montre une réelle institutionnalisation des grandes pompes funèbres.
Une cérémonie a toujours lieu à l’abbaye de Saint-Denis pour l’ensevelissement, puis à Notre-Dame de Paris pour la grande pompe funèbre. Suivant le défunt, d’autres lieux à Paris et en province peuvent aussi être concernés.
Pour honorer les souverains étrangers, une pompe funèbre est organisée à Notre-Dame de Paris, comme en 1741 pour Élisabeth-Thérèse de Lorraine, reine de Sardaigne, ou en 1747 pour Catherine Opalinska, reine de Pologne.
Charles-Nicolas Cochin fils et Jean Ouvrier, d’après un dessin de Charles-Nicolas Cochin fils, Pompe funèbre de Catherine Opalinska,
reine de Pologne, grande duchesse de Lithuanie, duchesse de Lorraine et de Bar en l’église de Notre-Dame de Paris le 18 mai 1747. -
Bibliothèque de l'INHA La nef de l’église est tendue d’un velum violet pour le roi, blanc pour les enfants et noir pour toute autre personne.
Mais c’est le cénotaphe, qui servant à surélever le catafalque, qui est toujours le point central de la décoration. Il est composé d’un riche ensemble de girandoles, statues, bas-reliefs, guirlandes et médaillons, à visée fortement allégorique.
Si le décor ne change guère, le style de l’architecture évolue au fil du siècle. Après les Berain à la fin du XVIIe siècle, les Slodtz conçoivent des décors dans le style rococo, Michel-Ange Challe dans le style transition et Pierre-Adrien Pâris, nommé dessinateur de la Chambre du roi en 1778, dans un style plus néo-classique, simple et élégant.
Ces constructions sont bien pratiques car les différents éléments peuvent être réemployés d’une pompe funèbre à l’autre, hormis le cénotaphe. Celui de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche en mai 1781, dû à Pâris, est particulièrement remarqué. Le programme iconographique se rapporte directement à la vie de la souveraine. Le sarcophage à l’antique introduit la polychromie avec des marbres peints en trompe-l’œil.
C’est donc sans vergogne que les pompes funèbres se conçoivent comme un décor de théâtre, décor d’une fête de la vie de cour, avec leurs éléments en bois et leurs statues de plâtre. On conçoit que l’organisation des cérémonies en reste logiquement du ressort des premiers gentilshommes de la Chambre du roi et que les dépenses occasionnées dépendent du département de l’Argenterie, Menus Plaisirs et Affaires de la Chambre. Surtout en vérité des dépenses extraordinaires de l’Argenterie.
Les travaux sont prévus par le dessinateur de la Chambre et du Cabinet du roi et exécutés par les artistes et artisans des Menus Plaisirs. Les archives de l’intendant et contrôleur des Menus Plaisirs, Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté, donnent le détail de ces dépenses et leurs montants :
«
La dépense des pompes funèbres consiste dans la construction d’un chœur en charpente et menuiserie, dans la nef de Notre-Dame à Paris, ou à Saint-Denis, pour contenir les stalles hautes et basses pour le clergé, les cours souveraines et officiers de la Maison du Roi, et des princes qui assistent à la cérémonie, plus au pourtour du chœur, des tribunes et jubé pour la musique, estrades, autels et autres choses demandées par M. le grand-maître des cérémonies. Plus la fourniture de toutes les tentures des deuils au-dedans et au pourtour de l’église, ainsi que des appartements pour la réception des princes et princesses. Toutes les différentes décorations du cénotaphe […], le luminaire, l’habillement et payement des pauvres, des officiers des cérémonies, gardes-du-corps, Cent-Suisses, prévôté de l’hôtel, le payement des chapitres, des choristes, musiciens, sonneurs, loueurs de chaises, les fournitures des manteaux de deuils, les écussons et armoiries brodés et peints, etc »
Entre 1761 et 1786, Papillon de La Ferté, qui résidait d’ailleurs dans un petit château à l’Ile Saint-Denis, relève vingt-six pompes funèbres pour un montant total de presque deux millions de livres.
Durant tout le XVIII°s, l’édition d’estampes et de recueils gravés se poursuit tout en s’attachant désormais à la représentation de la grande pompe funèbre. Les plus grands artistes graveurs s’adonnent à l’exercice pour produire de véritables livres de fête montrant toute la somptuosité des décors. Un très beau recueil de Ballard contient ainsi de nombreuses estampes, comme la grande vue de la nef de Notre-Dame de Paris pour la pompe funèbre de Philippe V d’Espagne en décembre 1746, organisée par le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la Chambre du roi. Le décor est dû aux Slodtz. La gravure réalisée par Cochin fils reflète avec une grande minutie la somptuosité ordinairement déployée des pompes funèbres royales. Celles-ci demeurent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime un véritable rite monarchique.