Françoise Baron : Alexandre Lenoir à Saint-Denis,
une survie du Musée des Monuments français.
Conférence tenue en la basilique de Saint-Denis le 4 octobre 2011 à 20h, par madame Françoise Baron, Conservateur général honoraire du patrimoine, ancienne conservatrice du département des sculptures du Louvre.Je ne prétends pas ici livrer une sténographie des propos de madame Baron. J'ai essayé de synthétiser le contenu de sa conférence pour l'adapter à notre forum.
Quelques précisions pour éclairer certaines informations connues des seuls spécialistes ont été rajoutées.
A noter que la conférence portait pour une part importante sur la collaboration que Debret a apporté au projet d'Alexandre Lenoir.Par ordonnance royale du 16 décembre 1816, le gouvernement de la Restauration met fin au Musée des Monuments français pour laisser place à l’Ecole des Beaux Arts nouvellement créée. Guilhermy affirmera en 1842 que cet « arrêt de mort » n’était que l’aboutissement d’un acharnement vindicatif du nouveau régime. Sur ce point, le baron était de bien mauvaise foi car ce projet remontait en réalité à l’Empire – et mauvaise foi surprenante car Guilhermy était d’opinions politiques légitimistes. En 1806 Vivant Denon, directeur général du musée Napoléon, souhaitait rapporter du Musée des Monuments français tout ce qui provenait de Saint-Denis. Le décret du 20 février 1806 avait prescrit le transfert au Panthéon de toutes les sculptures funéraires réunies par Lenoir ; mais le directeur général préférait qu’elles soient réunies à Saint-Denis, qui en tirerait « quelques ressemblances avec la sépulture de Westminster où la cendre de Newton repose dans la même enceinte que la dépouille des rois » (sic). D’ailleurs, dès le Consulat le sculpteur Deseine s’était élevé en faveur du retour des œuvres dans leur lieu d’origine, et en 1806, Quatremère de Quincy avait protesté dans ses Réflexion critiques sur les mausolées, qu’un tombeau pût devenir objet de musée.
Enfin, Lenoir s’était lui-même assez vite résigné à cette idée et en 1815 le deuil du Musée des Monuments français était consommé depuis longtemps dans son esprit.
Le 24 avril 1816, une précédente ordonnance de Louis XVIII avait prescrit le retour des monuments funéraires à Saint-Denis, tout en y ajoutant les fragments de tombeaux provenant des églises et abbayes parisiennes disparues ou désaffectées ( ex : Les Jacobins, les Célestins, les Cordeliers , l’église Sainte-Geveviève ; Saint-Germain des Prés …)
Tout le reste devait demeurer aux Petits Augustins, la nouvelle Ecole des Beaux Arts ayant besoin d’œuvres modèles.
Pour Alexandre Lenoir, la continuité était assurée : la basilique devenait, selon lui, l’héritière du musée disparu. Mieux, Lenoir devenait le 18 décembre 1816 administrateur de l’église basilique avec traitement de 5000 francs pris sur la restauration. Il le restera jusqu’en 1817.
Toujours est-il que Lenoir allait devoir s’accommoder de la présence d’un nouvel architecte nommé en 1813 après le mort de Cellerier : il s’agit de François Debret.
Dans l’Histoire de la basilique, aucun personnage n’a été autant décrié – ni calomnié – que Debret . On lui reproche des travaux de restauration fantaisistes et d’aucuns lui font porter la responsabilité de la destruction de la flèche Nord. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, les historiens de l’Art qui ont repris le dossier émettent un avis beaucoup plus nuancé et quelques uns n’hésitent pas à parler d’une nécessaire réhabilitation. Sa vision de la restauration de l’édifice a été ravivée en 1996 grâce à l’achat par les Archives Nationales de 5 cartons de recueils d’aquarelles découverts par Alain Erlande-Brandenburg. Mais on dispose aussi de son journal, de ses correspondances et de sa comptabilité.
En tout cas, Alexandre Lenoir ne s’est pas manifesté contre les projets de Debret.
D’ailleurs, lequel a inspiré l’autre ?
En 1819, lorsque Claude Saint-Père restaure les tombeaux de la Chartreuse de Champmol, il affirme avoir reçu les conseils d’Alexandre Lenoir, et non pas de François Debret. Preuve que la renommée de Lenoir éclipsait encore celle de ses collègues.
C’est d’ailleurs Lenoir qui dresse pour le Grand Aumônier le 19 février 1817 une liste de monuments religieux à rétablir dans l’église à l’usage du clergé, et hors de l’église le regroupement de tous les éléments funéraires provenant du Musée des Monuments français. Debret marchait main dans la main avec l’administrateur. Il s’agissait non pas de rétablir les tombeaux dans la basilique, mais de les exposer dans le grand quartier canonial que l’on se proposait de construire contre le flanc Nord de la basilique. Un grand portique néo-gothique, sorte de nouveau cloître, aurait abrité ce musée funéraire. Au centre du portique aurait pris place le tombeau d’Héloïse et d’Abélard … rafistolé par Lenoir. Debret faisait cette dernière concession comme une sorte d’hommage aux inventions de Lenoir au Musée des Monuments français.
Mais ce projet fut refusé par les autorités et le tombeau d’Héloïse et Abélard fut remonté au cimetière du Père Lachaise.
Résultat : l’ensemble des pièces rapportées depuis les « magasin » du Louvre (dépôts à titre transitoire) devait être peu à peu monté dans la basilique de 1817 à 1822.
Mais dans quel état ?
Une restitution de l’ordonnancement d’avant 1793 fut d’emblée exclue et Debret décida d’installer les gisants dans la crypte, contre toute logique historique ou archéologique. Cette décision heurta les contemporains et fut très critiquée par Guilhermy.
Debret se justifia, non sans arguments.
En son temps, Cellerier avait déjà fait cette proposition alors que Napoléon voulait mettre fin au musée des Monuments français. Mais surtout l’abondance de cérémonies commémoratives et expiatoires de la Restauration nécessitait beaucoup d’espaces de circulation dans l’édifice, au point qu’il aurait fallu prévoir des déplacements permanents des monuments. Déjà, au XVIII°s, les Mauristes avaient demandé une expulsion des tombeaux de la croisée du transept pour disposer de plus de place, ce qui leur avait été refusé.
Lenoir et Debret replacèrent seulement les tombeaux de Louis XII, François ° et Henri II dans l’église haute. On songea à faire de même pour celui de Dagobert. Pour eux, c’était suffisant. Et l’on devait comprendre que les nécessités liturgiques ne pourraient que repousser les gisants dans la crypte.
Mais en vérité, Lenoir et Debret avaient bien une arrière-pensée.
La crypte, espace vierge, serait l’espace idéal de création architecturale dont ils rêvaient. Là, personne ne viendrait leur chercher noise pour leur grand dessein évocateur.
Debret allait néanmoins prêter le flanc à la critique en commettant un acte d’une singulière gravité.
Constatant que l’architecte Legrand, prédécesseur de Cellerier, avait rehaussé le niveau du sol où se trouvait avant 1793 le tombeau de Dagobert, Debret renonça à replacer celui-ci dans le chœur … et décida de scier en deux le tombeau de Dagobert pour séparer la face de la reine Nantilde !
Debret s’expliqua très laborieusement de ce crime patrimonial : «
Ce dernier [ le tombeau de Dagobert ] ne pouvant plus être placé dans le chœur où il avait été érigé, je fis détacher la face postérieure pour la dédier à Nantilde. A cet effet, je fis mouler sa figure sur le monument original (sic) et la fis coucher sur un dédoublement de la tombe de Lumachel qui, bien que très fracturée, avait été conservée par M. Lenoir. Ces deux monuments furent placés au regard l’un de l’autre, au-dessous des tours ; place qui suivant l’usage ancien était occupée par les statues des fondateurs dans le Moyen Age. A Saint-Denis par exemple, les figures de Charlemagne et de ses deux fils étaient en la place où j’ai mis le tombeau de Dagobert. Les restes de ces figures ont disparu dans la Révolution. »
Bref, deux petits « faux » tombeaux créés à partir d’un grand « vrai » pour qu’on puisse les voir de face. Debret va y rajouter des morceaux pris à des monuments disparus pour compléter le massacre. C’est ainsi qu’un bas-relief ayant appartenu aux tombeaux de deux parlementaires enterrés au cimetière des Innocents ( Jean +1483 , et Michel + 1514 Le Boulanger et leurs épouses) fut greffé sur le « tombeau » de Nantilde. Ce bas relief a été livré après les travaux de Violet-le-Duc à la Maison de la Légion d’Honneur et a été perdu depuis.
Dans les chapelles rayonnantes, un semblant d’ordre chronologique fut respecté de façon à conserver l’esprit « musée » des Petits Augustins. On y monta des tombeaux, retables et autels gigantesques avec des pièces de provenances diverses. On en retrouve quelques unes au Louvre ou au Musée de Cluny aujourd’hui. Ainsi en est-il du chapiteau de Daniel dans la fosse aux lions provenant de St Germain des Prés, qui supportait le buste de Nantilde. Ou de l’homme au feuillage qui ornait le prétendu « tombeau » de Blanche de Castille, avec un relief de verre, aujourd’hui au Louvre.
Dans ce grand bric-à-brac esthétique resurgirent quelques erreurs importées du Musée des Monuments français. Mais la faute en incombe à Lenoir et non à Debret qui les désapprouvait tout en s’inclinant. Le cas le plus célèbre concerne les statues de Charles V et de Jeanne de Bourbon (auj. au Louvre) que Lenoir avait fait passer pour des représentations de Saint Louis et de Marguerite de Provence ! La pieuse forgerie sera tellement ancrée dans l’esprit de nombreux historiens que les catalogues la colportèrent jusqu’aux années 1950. A l’époque de Lenoir, le public y croyait et Debret n’osa jamais démentir cette usurpation d’identité tant le prestige de son collègue l’étouffait.
Une erreur similaire concerna les statues de l’église de Corbeil : Lenoir les désigna comme étant celles de Clovis et de Clotilde. C’est au détour d’une phrase que l’on peut percevoir la discrète réprobation de Debret : « … ainsi nommées par monsieur Alexandre Lenoir. » (sous-entendu = pas par moi !).
Ce n’est qu’après le départ de Lenoir en 1837 que François Debret s’affranchit peu à peu et mit fin à certaines erreurs. Mais il était bien tard. Car lorsque certaines statues et quelques gisants furent reproduits par le sculpteur Jacquet après 1830 pour peupler le nouveau musée de Versailles … les erreurs d’appellation suivirent et se répandirent.
Au total, tant que Lenoir était présent, Debret s’était contenté de fabriquer une sorte de mémorial commémoratif. C’était un vrai musée mais respectant jusqu’en 1830 la mission de nécropole royale légitimiste qui lui était attribuée. Certes, la vérité archéologique était sacrifiée – et notamment l’emplacement des anciens tombeaux, totalement bafoué -, mais sans quitter la réutilisation de pièces authentiques rapportées.
Après 1837, il n’en était plus ainsi. Atteint par une sorte de démesure créatrice, Debret allait s’affranchir de toute limite. La branche ainée des Bourbons n’est plus sur le trône et Lenoir n’est plus en embuscade.
Pour coller au grand projet de Louis-Philippe à Versailles, Debret estime alors qu’à Saint-Denis le rôle de nécropole dot passer à l’arrière plan du musée commémoratif. A ce titre, tous les rois et toutes les reines doivent être représentés, même ceux qui n’y avaient pas été inhumés. Et tous les grands serviteurs de la royauté aussi (ex : Jeanne d’Arc) !
On livre donc quatre statues géantes d’empereurs (dont une de Charlemagne)pour satisfaire le démon de l’exhaustivité dynastique dont est saisi Debret.
Il lui faut des reines ! Or, il n’a pas assez de vestiges authentiques pour en fabriquer. Qu’à cela ne tienne, on en fabriquera de toutes pièces ! Ou à partir de moulages. C’est ce que Guilhermy qualifiera d’ « incestes de pierre et (d’) adultères de marbre ».
Une pierre gravée aux effigies d’Ultrogoth, d’Ultroberge et d’Arnégonde est parvenue jusqu’à nous. Debret ne pouvait pas savoir qu’Arégonde était bien enterrée sous ses pieds ! … Sa tombe ne sera découverte que 100 ans plus tard. Dans la liste de ces créations, on trouve même une Blanche de Bourgogne, épouse infidèle de Charles IV le Bel, ce qui ne fut pas jugé du meilleur goût . Vers 1840, on ira jusqu’à rajoute des tombeaux inventés dans les alvéoles vacantes au Sud.
En 1825, on eut l’idée de flanquer l’autel de la chapelle Saint-Louis de statues de Saint Louis et de Marguerite de Provence (en réalité les statues de Charles V et de son épouse, avec rajout d’une Saine Chapelle sur le bras du monarque), placées dans les deux niches provenant de la façade de l’église des Célestins. Le grand aumônier préféra que l’on substitue une sainte à la reine. Du coup, on transforma la pseudo Marguerite de Provence en la bienheureuse Isabelle, sœur de Saint Louis ! Il fallut pour cette opération remplacer la couronne royale par une couronne ducale ; on le fit sur une copie réalisée par Blois en pierre de Conflans.
Il est vrai que dès 1819 Debret s’était lancé dans la restitution inventive de la porte des Valois et de l’intérieur du transept. Il y avait fait rajouter la Vierge de Saint-Martin des Champs. Il avait aussi fait mouler quatre apôtres de la Sainte Chapelle déposés au Musée des Monuments français pour les placer dans les parties hautes du portail Sud.
Un grand siège fut monté pour le primicier du chapitre avec le dais que Lenoir avait utilisé pour le pseudo-tombeau de Charles V au musée des Monuments français, soutenu par des chapiteaux qui provenaient de Chartres. Dais qui en réalité surplombait à l’origine le tombeau de Marguerite de Flandre à Saint-Denis – et qui couvre aujourd’hui au fond du chœur les saintes reliques de Saint Denis, Saint Rustique et Saint Eleuthère.
Il fait aussi peintre les chapelles hautes, la chapelle Saint-Louis et la chapelle Saint-Jean Baptiste en fonction des restes de polychromie médiévale encore visible. A terme, toute la basilique devait être peinte en bleu, or et rouge …
Debret voulait toujours plus de retables somptueux pour ses chapelles. En 1838, il fit placer dans la chapelle de la Vierge, dans l’abside du fond, cette merveille qu’est le grand retable de Stavelot. [ Violet-le-Duc le retirera et le placera dans la sacristie ; pour mieux dénigrer Debret, il affirmera que le retable venait du Musée des Monuments français … alors qu’il savait pertinemment que c’était Debret qui l’avait fait acheter ! C’est que Debret était un acheteur de très bon goût, réalité gênante pour Violet-le-Duc. Ce qui n’empêchera pas le docteur Antonin Proust (père de Marcel), secrétaire d’Etat aux Beaux Arts, de le faire transporter au Musée de Cluny où il se trouve aujourd’hui. ]
Mais surtout, Debret fit sculpter des retables imaginaires répondant à sa vision du mobilier religieux médiéval. On les connait grâce aux aquarelles qu’il a laissées. D’une taille impressionnante, leurs décors étaient constitués de marbres multicolores, d’émail et de verre. L’effet en était incontestablement grandiose.
Pour arriver à ses fins, Debret n’hésite pas à demander le changement de dédicace de certaines chapelles puisqu’il y place des statues de plusieurs saints à la fois.
Reste que vers 1840 les magasins de Saint-Denis sont toujours pleins et que Debret est loin d’avoir tout utilisé. Pour mieux déstocker il décide de remplir à fond les chapelles hautes.
Il s’attaque ainsi à la chapelle Saint-Louis destinée à recevoir le cénotaphe de Louis XVI et de Marie Antoinette par Gaulle et Petitot, mais surtout à la chapelle Saint-Jean Baptiste (chapelle « caroline »).
Louis Philippe ayant exigé le retour des gisants de Charles V et Charles VI dans leur ancienne chapelle, on les retira donc de la crypte. Debret eut alors l’idée de faire de cette chapelle un mémorial pour Charles V et ses compagnons d’armes. On replaça donc les gisants de Du Guesclin et de Louis de Sancerre, ce qui était historiquement valide. On fit de même pour Louis de Sancerre. Mais Debret voulut aussi un Bureau de la Rivière. Or, la dalle de cuivre surplombant sa tombe avait été fondue en 1792. Fort heureusement … Lenoir avait réalisé un gisant inventé en récupérant le visage de marbre barbichu d’un gisant inconnu et en le fixant sur un corps de plâtre !
Debret trouvait toutefois que le gisant de Charles V ne marquait pas assez l’époque batailleuse de la Guerre de Cent ans. Il fit donc réaliser une pierre gravée figurant un Charles V en armure tenant une lance en costume de sacre ! Pour qui connait le physique et le caractère de Charles V, le contresens historique était total … [ Guilhermy en fit un commentaire assassin, plein d’humour ].
Mais notre Debret, tout à son hybris héroïque, ne s’arrêta pas là. Il fit tailler une immense dalle consacrée à Jeanne d’Arc. La Pucelle y est représentée en harnois de bataille, le casque fermé (on ne voit pas le visage). En fait, on s’est inspiré d’une gravure du musée des Invalides montrant une armure milanaise de tournoi du XVI°s !!!! [ On en possède une photo de 1926. Cette incroyabledalle, placée au dépôt de Saint-Denis, a disparu après la guerre. On ne sait ce qu’elle est devenue.]
On trouvait toutefois aussi quelques œuvres authentiques comme un relief de la prédication de Saint-Jean Baptiste par Germain Pilon, une statue de Saint-Jean Baptiste par Feuchère, une statue de Saint-Jean et de la Vierge provenant de l’ancienne abbaye de Longchamp, ainsi qu’une grande croix provenant de l’ancien cimetière des Innocents (auj. à la Maison de la Légion d’Honneur)
Au sommet de son imagination, Debret n’a pas vu se profiler sa chute.
Une campagne de presse menée par Prosper Mérimée (agissant dans le cadre d’une cabale au profit de Violet-le-Duc) vint à bout de son obstination. L’affaire de la restauration difficile de la tour Nord le poussa finalement à la démission en 1846.
Son successeur, Eugène Violet-le-Duc entreprit alors une destruction systématique de son œuvre, au nom d’une nouvelle rigueur historique et architecturale. Après avoir fait arracher les monuments luxueux de Debret et décaper la basilique de toutes ses peintures (y compris celles d’origine !), Violet-le-Duc, conseillé par le très sérieux Guilhermy, rétablit la plupart des gisants à l’emplacement qu’ils occupaient avant 1793. Il fit reconstituer les soubassements du XIII°s de la commande de Saint Louis [ que Formigé fit démonter à la fin des années 1950 par soucis excessif de sobriété …] et redonna à la basilique une cohérence archéologique appréciée des puristes.
Au total, que penser de Debret ?
Selon Françoise Baron, il ne faut pas juger cet architecte avec nos critères actuels de rigueur. Le malheur de Debret est de n’avoir pas été un homme de son temps. Elève de Percier, il était comme Lenoir marqué par l’esprit de la fin du XVIII°s et par la redécouverte des âges « gothiques » naguère si décriés. Sa vision idéale du Moyen Age aurait été applaudie entre 1790 et 1820. Il ne pouvait plus en être ainsi après. Le temps de la recherche et de l’Histoire avait remplacé celui de la mémoire romantique au tournant des années 1840 sans que Debret ne s’en aperçoive.
Ses réalisations devaient d’ailleurs être assez brillantes et cohérentes. A quelques détails près, ses aquarelles nous révèlent un goût très fin. De sorte que la basilique devait avoir à son départ un incroyable aspect que nous avons bien oublié depuis les dérestaurations de Violet-le-Duc. Les conférenciers, dont François Baron, ont d’ailleurs semblé regretter que l’anéantissement de l’œuvre de Debret ait été beaucoup trop radical.
Il convient aussi de ne pas oublier que Debret a été un excellent acheteur, au flair infaillible et qu’il a permis au patrimoine français d’acquérir des œuvres importantes qui étaient sur le point de filer à l’étranger. C’est le cas du retable de Stavelot.
Il avait fait de Saint-Denis un dépôt exceptionnel d’œuvres qu’il a su protéger. D’une façon certaine, il fut l’héritier de Lenoir puisqu’il récupéra une bonne partie des pièces du Musée des Monuments français, mais qu’il les réutilisa de façon moins fantaisiste que Lenoir, dans un but mémoriel et historique, et non plus seulement esthétique.
Enfin, les historiens disculpent aujourd’hui Debret de la ruine de la tour Nord. Sa superstructure était déjà en mauvais état depuis deux siècles. C’est Violet-le-Duc qui a démonté celle-ci dans l’espoir de reconstruire totalement la façade Ouest de la basilique selon ses propres vues architecturales. Il chargea ensuite son prédécesseur pour cacher son dessein. Malheureusement pour Violet-le-Duc, cette destruction-reconstruction ne put jamais être entreprise. En attendant, la tour Nord, elle, avait disparu …
Denier point sur l’anéantissement de l’œuvre de Debret. Même à trop vouloir accabler son prédécesseur, Violet-le-Duc n’a pas pu étouffer certains méfaits de sa propre gestion.
Tandis que Debret faisait tout pour protéger les dépôts d’œuvres de façon méticuleuse – ce en quoi il fut bien le continuateur de Lenoir – Eugène Violet-le-Duc, lui, n’a pas eu autant de scrupules au moment de sa prise de fonction. Voulant tout arracher et tout supprimer, le nouvel architecte a agi de façon précipitée et brouillonne.
Il a enterré bon nombres de moulages en plâtres dans la terre pour s’en débarrasser (on en redécouvre encore aujourd’hui en creusant) et en a aussi détruit (ex : une Jeanne d’Evreux …) .
Mais surtout, les monuments et pièces détachés authentiques ont été rejetés à la va-vite dans les magasins sans aucun dispositif de surveillance. Cet abandon et ce désintérêt de Violet-le-Duc a mené au pire : une série de vols d’importance amputant notre patrimoine. On peut citer le cas du charmant buste provenant du gisant de Blanche de France aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York ! Il a fallu les interventions de Courajot (pour le Louvre) et de du Sommerart (créateur du Musée de Cluny) pour que le scandale cesse. Les deux hommes ont créé le fond des « chantiers de Saint-Denis » au Louvre pour sauver ce qui devait l’être. On peut citer l’exemple du beau retable de Saint-Hippolyte que Violet-le-Duc avait abandonné dans un dépôt ouvert à tous les vents, et que Courageot sauva.
Mais d’autres pièces n’ont pu être sauvegardée. On trouve aujourd’hui dans le cimetière des demoiselles à l’Est des bâtiments de la Légion d’Honneur un superbe bas-relief en pierre à porc venant de l’église des Mathurins. Jadis placé dans la basilique par Debret, il est soumis aux intempéries, depuis 1902, accroché contre un mur du cimetière. Il a été redécouvert récemment par Françoise Baron et Serge Santos lors d’une inspection. Il serait bon de le mettre à l’abri. D’autres œuvres ont été dispersées à la Légion d’Honneur qui les a réutilisées parfois comme remplois. On retrouve ces malheureuses épaves de temps à autres …
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