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Louis XI à Cléry-Saint-André : que sont devenus ses ossements ?
Le tombeau de Louis XI en orant -Le roi Louis XI fit vœu de faire reconstruire l’église Notre-Dame de Cléry-Saint-André (Loiret), jadis bâtie par Philippe le Bel, à la suite de sa victoire de Dieppe en 1443. Le 21 septembre 1467, le roi se détourne de Saint-Denis en choisissant Notre-Dame de Cléry pour sépulture. Il sera l’un des trois seuls rois capétiens – avec Philippe I° et Louis VII - à ne pas vouloir être inhumé dans la nécropole royale.
Un gros caveau est préparé dans le sous-sol de la nef, proche de l’autel.
Dans un premier temps, un modèle de tombeau avait été commandé à Michel Colombe et un dessin sur parchemin avait été proposé par Jean Fouquet. Le résultat aurait pu être exceptionnel mais pour une raison inconnue le souverain ne donna pas suite. Le conseiller Bourré du Plessis fut chargé de demander au sculpteur Colin d’Amiens un autre projet d’après le dessin célèbre du roi en chasseur priant qui se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale.
Ancien priant en cuivre et bronze de Louis XI à Cléry(détruit par les huguenots dans la 2° moitié du XVI°s) C’est le premier exemple du tombeau d’un roi de France représenté en orant. Elle devait se tenir face à la statue de Notre-Dame de Cléry.
La réalisation finale en bronze dorée et cuivre émaillé fut, semble-t-il, un peu différente du dessin sans que l’on puisse savoir jusqu’à quel point, l’œuvre ayant été détruite par les huguenots en 1562.
On la confia à Conrad de Cologne, orfèvre à Tours et à Laurent Wrine, canonnier. Elle fit l’admiration des contemporains.
Louis XI meurt au château de Plessis-lès-Tours (Indre-et-Loire) le 30 août 1483 et est inhumé à Cléry le 7 septembre.
La destruction et les profanations de 1562 -
Pour une fois, ce n’est pas la Révolution française qui a déchaîné les furies sur un tombeau royal…
La ville d’Orléans est prise en 1562 par les armées du prince de Condé, chef des troupes protestantes. Le 2 avril 1562, l’église de Cléry tombe entre leurs mains. Un manuscrit conservé à la bibliothèque municipale d’Orléans affirme : « Il y a en cette église plusieurs tombeaux de personnes illustres qui ont été détruits par la violence des hérétiques en 1562, et entre celui du Roy Louis XI qui estoit magnifique, dont la figure de marbre fut ignominieusement cassée à coups de marteau. Ces misérables, plus impies que ne le furent jamais les plus terribles iconoclastes, non contents de leur attentat, souillèrent entièrement la sépulture de ce monarque et celle de la royne Charlotte de Savoye, son épouse, en jetant leurs cendres aux vents… »
Passons sur l’erreur de la figure « de marbre » puisque le tombeau était en bronze et en cuivre émaillé… ! Mais pour le reste ? Les corps de roi et de la reine ont-ils été détruits ? Tout au long des XVII° et XVIII°s, plusieurs chroniqueurs et historiens affirmèrent que les ossements avaient été brûlés par les profanateurs, certains ayant même joué avec le crâne de Louis XI avant de le faire disparaître.
Une chose est sûre, le magnifique tombeau réalisé par Conrad de Cologne et Laurent Wine fut démantelé et ses pièces fondues.
Puis l’événement tomba dans l’oubli.
En 1622, on rétablit toutefois un tombeau de marbre, plus modeste et guère original, en souvenir de la présence de Louis XI en ces lieux. Il était l’œuvre de Michel Bourdin d’Orléans, peintre et architecte à Paris. Seul point commun avec l’ancienne : le roi est toujours représenté en « orant ». Il n’est plus en chasseur, mais porte le costume de l’ordre de Saint-Michel qu’il avait fondé.
La Révolution et ses suitesAprès le 10 août 1792, ordre est donné de détruire le tombeau du « tyran » dans l’église de Cléry. Le monument du XVII°s est donc abattu mais la statue moderne du roi et les quatre anges sont réunis par Alexandre Lenoir à Paris dans le Musée des Petits Augustins.
Les révolutionnaires locaux, ignorant tout des événements de 1562, cherchent également à pénétrer dans l’ancien caveau mais ils n’en trouvent pas l’entrée – elle ne sera découverte qu’en 1889. Ils finissent (par sondage ?) par deviner où se trouve la voûte et décident de la percer. C’est alors que pierres et remblais s’effondrent dans le caveau.
Le premier maçon qui y descend a une grosse surprise : il se trouve face à une grande quantité de débris de toutes sortes sur lesquels sont tombés les quelques morceaux de la voûte. Une grande cuve, des fragments de sarcophages en plomb, des fragments de tissus assez nombreux et surtout…des ossements ! Ils témoignent notamment d’une « tête coupée en deux ». Nos révolutionnaires, devenus subitement bien sages, prennent seulement les quelques morceaux de plombs. Ils remontent et, par la suite, des travaux referment convenablement la voûte.
Etrange.
Il faudrait donc en conclure que ces restes de corps, présents, là, en 1792, n’ont pas été jetés au vent en 1562.
Mais quels restes ont été exactement aperçus en 1792 ?
Le mystère s’épaissitEn 1818, le comte de Choiseul d’Aillecourt, préfet du Loiret, obtient le retour des vestiges de l’ancien monument à Cléry. L’architecte Pagot et le sculpteur Romagnési conçoivent alors un mausolée qui est alors placé dans la dernière travée de la nef, légèrement en biais, selon une disposition prétendant restituer celle du tombeau d’origine.
La voûte du caveau est de nouveau ouverte mais on ne s’y attarde guère.
Le monument, lui, n’était pas au bout de ses peines ! En 1868, à la suite de travaux dans l’église, il est à nouveau démonté. La statue est médiocrement disposée sur une dalle en 1874 au niveau du sol. On la replace en 1896 sur un monument prétendument dessiné par Lenoir et adapté par le sculpteur Libersac. C’est le mausolée actuel…guère convainquant aux yeux des historiens de l’Art.
Etat actuel du tombeau Mais c’est en 1889 que l’on retrouve enfin l’entrée primitive du caveau.
Qu’a-t-on redécouvert ?
Un escalier étroit et abrupt descend jusqu’à un caveau construit en pierres de taille d’Apremont. C’est un rectangle de 2,82m de long et de 2,08m de large. Il se situe plus au Nord que le monument actuel.
En bas de l’escalier, le long du mur à droite se trouve un énorme sarcophage en pierre sans inscription, au milieu de gravats. Il se compose de la cuve où l’on retrouve des restes de squelettes en vrac et d’une vitrine (XX° siècle) où l’on peut admirer aujourd’hui les restes crâniens d’un supposé Louis XI et d’une idéale Charlotte de Savoie.
Le caveau, état actuel. On peut voir à travers la vitrine creusé dans le gros sarcophage les crânes attribués à Louis XI (à droite) et à Charlotte de Savoie...(à gauche)La partie gauche du caveau était vide en 1889. Elle portait toutefois des traces de scellements et des fragments de barres de fer qui devaient supporter un autre sarcophage (celui de Charlotte de Savoie ?)
L’abbé Saget entre alors en piste…
Curé de Cléry au moment de cette redécouverte, il se lance dans des recherches historiques pour identifier avec zèle les restes humains.
Il a en fait surtout contribué à brouiller les cartes et à compliquer le problème…
Pour Saget, les huguenots ont bien profané la tombe en 1562 et l’ont pillé mais ils n’ont pas détruit les corps du Roi et de la reine. Au pire ont-ils emporté des ossements, car il est vrai qu’il en restait peu en 1889. En outre, les interventions de 1792 et de 1818 ayant été faites par la voûte, auraient brisé la dalle et recouvert les corps.
Mais l’abbé va plus loin : il prétend avoir découvert lui-même tous les ossements au sol, sous les restes de voûtes. Selon lui, ni en 1792 ni en 1818 les maçons n’ont pu apercevoir de squelettes sous tous ces débris puisque c’est lui qui les a trouvés ! De fait, les commentaires datant de la Révolution ou de la Restauration sont peu explicites.
L’ennui, c’est que dans une lettre adressé à son successeur l’abbé Millet (et publiée en 1926), Saget présentait une autre version : « Une cloison était au bas de l’escalier ; d’un coup d’épaule je la renversai ; elle était en briques mal jointes et lézardée. On tira beaucoup de terres, de dalles brisées, de pierres, et l’auge sépulcrale apparut entière. Lorsqu’on l’eût déblayée, elle laissa voir un nombre considérable d’ossements. »
Cette fois on ne comprend plus ! Dans son premier témoignage, Saget affirmait avoir découvert les ossements sur le sol du caveau, en vrac, cachés par des restes de dalles, pour expliquer que personne avant lui n’avait pu les voir et qu’il en était bien l’ « inventeur ». En 1926, il déclare les avoir tous découverts dans le sarcophage…
Mais il y a mieux.
Il demande en 1896 au docteur Duchâteau, médecin à Cléry, de réaliser l’inventaire des ossements . Or, le docteur conclut à la présence non de deux mais de trois individus (au moins !) mélangés dans le sarcophage. Saget n’en tient pas compte et déclare par la suite que Duchâteau n’a retrouvé que deux crânes…
A quoi jouait donc le bon abbé ?
HypothèsesPremière hypothèse, burlesque…
A-t-il voulu offrir aux visiteurs et touristes « un » Louis XI et « une » Charlotte de Savoie en ayant assez de crânes, alors que le témoignage du maçon de 1792 parle d’ «une tête coupée » ?
En en faisant trop, l’abbé aurait par erreur refilé trois crânes au docteur Duchâteau ! Affolé par l’analyse rigoureuse de celui-ci et se rendant compte de sa bévue, Saget assène en 1926 qu’il y a bien deux crânes.
Circulez, il n’y a rien à compter !
Deuxième hypothèse. Sachant pertinemment qu’il n’y avait qu’une « tête coupée » dans la cuve, n’aurait-il pas craint la perte d’une des deux têtes depuis 1562 ? Et si c’était celle de Louis XI qui avait disparu, on imagine sa déception…
Notre abbé aurait alors présenté un reste de crâne supplémentaire, histoire de faire croire en la présence deux têtes humaines ?
C’est sans doute ce qui s’est passé…sauf que l’abbé ignorait un petit détail, que l’analyse de Duchâteau allait révéler.
La clé de l’énigme ? Lorsque les maçons de 1792 et de 1818 ont découvert le contenu de la cuve, il ne jouaient pas aux médecins légistes. Pour eux, le fait qu’il y ait un crâne découpé et une calotte crânienne plus loin était la preuve qu’il y avait « une tête coupée » appartenant à un seul et même individu. C’est ce constat qui a entrainé la frustration de l’abbé.
Or, à aucun moment ils ne se sont demandé si ces deux restes… appartenaient bien à une même tête ! Et l’abbé Saget non plus !
Ce que prouvent les expertises de 2004 entreprises par la DRAC (Service régional de l’archéologie du Centre), c’est que précisément la calotte ne va pas avec le crâne scié pour l’embaumement. D’ailleurs, il suffit de voir les photos alors publiées pour s’apercevoir que ça ne « colle »pas.
Si bien que lorsque Saget rajoute un reste en 1896, il croit ajouter un deuxième reste de crâne, alors qu’en réalité il en rajoute un troisième (il s’agirait d’un maxillaire supérieur) ! Le docteur Duchâteau voit le problème et le signale benoitement. Surpris par la présence incongrue d’une tête en trop, l’abbé la fait alors disparaître dans son ouvrage de 1913…
D’où Saget tenait-il ce reste humain ? Sans doute de fouilles ayant eu lieu dans l’église, peut-être dans le caveau voisin de la famille Dunois ? Il est probable que le naïf abbé, fervent admirateur de Louis XI, était de bonne foi en fraudant. Un crâne égaré dans l’église pouvait parfaitement être celui du roi ou de la reine à partir du moment où il en manquait un dans le caveau.
Qu’en a-t-il fait ? Nul ne le sait, l’abbé ayant emporté le secret dans sa tombe (son caveau ou sa cuve, devrais-je dire…)
On peut donc émettre une hypothèse quasi définitive, même si des zones d’ombre importantes subsistent dans cette affaire.
En 1562, les soldats de Condé investissent l’église de Cléry-Saint-André. Cherchant du plomb et peut-être des objets précieux, ils défoncent la voûte du caveau pendant que leurs comparses démolissent le magnifique tombeau de bronze, cuivre et émail. Mais ne pouvant remonter les cercueils du roi et de la reine par l’ouverture percée, ils sont alors dans l’obligation d’en vider le contenu sur place. Le plomb aurait été récupéré après la découpe en lanières, dont on a retrouvé d’ailleurs des fragments. Travaillant dans la pénombre, les soldats laissent tomber un grand nombre d’ossements, en volent certains, et jettent le reste dans la cuve en pierre où se trouvait le cercueil de Louis XI. Les ossements se mêlent dons à la terre, aux gravas, aux lambeaux d’étoffe de velours et de soie damassée, ainsi qu’à deux ou trois petits morceaux de lanières de plomb découpées.
En 1792, les restes humains retrouvés au sol sont à leur tour placés dans la cuve.
On a donc aujourd’hui :
Présentées dans la vitrine de la cuve :
- La base d’un crâne scié, attribué à Charlotte de Savoie et une mâchoire
- Une voûte crânienne sciée attribuée à Louis XI ( ?), une mâchoire et un fragment de la partie nasale
Les quelques fragments d’ossements restants se trouvent dans le sarcophage.
Il est entendu qu’il n’y a aucune preuve scientifique formelle de l’attribution de ces restes. L’expertise de 2004 opérée par la DRAC – autant sur le caveau royal que sur le caveau Dunois-Longueville - a mis en évidence l’apport à la fin du XIX°s de quelques ossements étrangers au sarcophage royal. Cependant, des os de Louis XI / Charlotte de Savoie, sont encore vraisemblablement présents.