Le cérémonial des funérailles de Louis XIV Les obsèques d'Henri IV furent les dernières funérailles où toute la pompe funèbre de la vieille monarchie respecta l'antique protocole. C'est la dernière fois que l'image du souverain en mannequin de cire fut de rigueur.
Les funérailles de Louis XIII, elles, marquèrent une rupture vers une plus grande simplicité.
En outre, le XVII° siècle délaissa la tradition des grands monuments funéraires. Les Bourbons se contentèrent du caveau de la crypte centrale de l'abbatiale, où les cercueils de plomb reposaient sur des tréteaux de fer. Le dernier monarque décédé attendait son successeur au bas de l'escalier donnant accès au caveau.
Toutefois, même sans retour à la totalité de l'ancien rituel, le règne de Louis XIV remit la splendeur des pompes funèbres royales à l'ordre du jour, notamment grâce à de somptueux décors.
En novembre 1669 fut érigée à Saint-Denis la première "machine" à l'italienne, spectacle funéraire spectaculaire, pour les funérailles d'Henriette-Marie de France, fille d'Henri IV et veuve de Charles I° roi d'Angleterre. Ce mausolée fut ensuite transporté à Notre-Dame pour un autre service funèbre en l'honneur de cette reine. C'était la première fois qu'une telle construction apparaissait, à Saint-Denis et à Notre-Dame, aux frais de la couronne.
Mais c'est avec les obsèques de la reine Marie-Thérèse en 1683 que le summum fut atteint. Aucun autre personnage du Grand siècle, pas même le roi, ne fut honoré, post mortem, d'une telle profusion de décors éphémères, à l'exemple de l'urne gigantesque soutenue par quatre figures allégoriques drapées , rappelant les Vertus de la reine (Foi, Espérance, Charité, Piété), environnées de torchères.
Les funérailles du prince de Condé (1687) et du Grand Dauphin (1711) furent toutefois très somptueuses.
Autant dire que celles de Louis XIV étaient bien rodées.
La chambre du trépas de Louis xiv, Roy de France, décédé à Versailles le premier septembre 1715 BNF Après avoir été embaumée et exposée plusieurs jours sur le lit de parade dans le salon de Mercure à Versailles, la dépouille mortelle du roi était confiée au cortège funèbre qui devait la conduire à Saint-Denis. Les rois d'armes ou hérauts de France marchaient en tête suivis des délégations des ordres religieux et des paroisses de Paris, des chanoines de Paris et de la Sainte Chapelle, des gentilshommes de la maison du roi défunt portant des cierges.
Le corps du roi, qui avait été levé par le cardinal de Rohan, quitta Versailles le 9 au soir, après que les vêpres eurent été célébrées par la musique de la chapelle.
On mit le cercueil sur un chariot d’armes escorté par la plus ancienne et la plus fidèle compagnie de la garde, celles des Écossais. Le cortège était composé exactement selon le même ordre que celui des rois précédents, avec en tête, le capitaine des gardes, les carrosses des principaux officiers de la maison, celui des écuyers du duc d’Orléans. Suivaient le maître des cérémonies, les mousquetaires noirs et les mousquetaires gris, les chevaux-légers, deux des célèbres carrosses de Louis XIV, vastes et couverts de dorures ; on prêta, pour la circonstance, le premier aux aumôniers, au confesseur (le P. Le Tellier) et au curé de la paroisse (Versailles), le second au duc d’Orléans, au cardinal de Rohan, aux ducs.
Le cercueil de Louis XIV longtemps convoyé par les porteurs de sel de Paris reposait sur une riche litière surmontée d'un dais. Les cordons du poêle étaient tenus par quatre présidents au parlement de Paris. Les princes du Sang se plaçaient aux quatre coins de la bière. Ils étaient flanqués, de part et d'autre, par les membres du parlement que suivaient les membres de la chambre des comptes, du Châtelet, de la ville et de l'université. Il y avait aussi quatre aumôniers à cheval, le prince Charles de Lorraine, grand écuyer, et le duc de Villeroy, capitaine des gardes du corps, les gardes et les gendarmes à cheval.
Derrière le convoi, l'archevêque de Paris était flanqué des princes menant le deuil, puis des Grands du royaume, et enfin des ambassadeurs.
Un groupe de pauvres portant des torches fermait la marche.
L'abbé de Saint-Denis recevait jadis au Lendit le corps du Roi. Mais en 1715, ce fut le Grand Prieur. Louis XIV avait en effet supprimé l'abbé commendataire (le dernier d’entre eux fut Jean-François-Paul de Gondi, cardinal de Retz, mort en 1679), mis la main sur la riche mense abbatiale et dévolu celle-ci en 1686 à la Maison de Saint-Cyr, sans d’ailleurs porter atteinte ni à la mense conventuelle, ni aux ressources alimentant le service du culte. Depuis 1686, les dames de Saint-Cyr étaient donc devenues conseigneurs de Saint-Denis de concert avec les bénédictins. Louis XIV avait, enfin, réglé de façon plus restrictive qu’auparavant les dons aux moines lors des pompes funèbres royales, mesure que le chapitre avait ressentie avec amertume, la considérant comme un nouvel empiètement sur des privilèges très anciens. Mais les moines firent malgré tout les choses de bonne grâce, accomplissant leur devoir.
Contrairement à ce qu’affirme Saint-Simon – mais que n’a-t-il pas écrit ! -le transport diurne, de Versailles à Paris, des entrailles et du cœur de Louis XIV, selon le cérémonial traditionnel, ne souleva pas le moindre accident.
Le corps était ensuite accompagné par l'archevêque jusqu'au grand portail de l'église abbatiale. Les religieux de Saint-Denis, venus à « la Croix penchée », précédèrent en procession le chariot jusqu’à la porte de la ville, où fut entonné le Libera me, Domine. Puis on gagna la basilique, au seuil de laquelle le cardinal de Rohan, présentant le cercueil au prieur, prononça une allocution dont les termes élevés montrent combien l’ambiance émue de la cérémonie était à l’opposé des affirmations de Saint-Simon :
« Savants et saints religieux, nous venons déposer ce qui nous reste d’un des plus grands rois qui aient gouverné cette puissante monarchie. Nous venons, par l’abaissement et par l’anéantissement des grandeurs les plus éclatantes, rendre hommage à Celui qui est, a été et sera éternellement. La postérité la plus reculée conservera la mémoire de Louis le Grand, le victorieux, le pacifique, l’asile et le protecteur des rois. Appliqué depuis longtemps aux exercices d’une piété pure et sincère, occupé tout entier des devoirs de la religion, ne songeant qu’aux moyens de soulager ses peuples abattus sous le poids d’une guerre aussi longue et pénible qu’elle fut nécessaire, ce grand prince a consommé sa course avec une fermeté et une religion dont il est peu d’exemples. Nous en avons été les tristes témoins.
Loin de s’écrier, dans ses dernier moments : « O mort, que ton souvenir est amer à l’homme qui jouit paisiblement de ses richesses », il ne pleura jamais sur lui-même ; s’il versa quelques larmes, il ne les donna qu’à la douleur de ceux qui l’environnaient ; doux et tranquille, mais sans faiblesse ». Le 10 septembre, un service solennel associa, dans la basilique tendue de noir, tous ceux qui avaient participé au convoi et les moines.
Une stricte étiquette présidait à la répartition des personnalités et des délégations à l'intérieur de la basilique.
Le cercueil royal était déposé dans une chapelle ardente qui avait été préparé au chevet de l'église, et les Vêpres des morts étaient chantées.
chapelle ardente dressée pour les obsèque de Louis XIV au chevet de l'abbatiale de saint-Denis (1715) BNF Le dépôt mortuaire durait 40 jours, jusqu'au 23 octobre, pendant lesquels se déroulait un perpétuel office.
Dans l'intervalle, le garde-meuble de la couronne achevait de tendre de tapisseries l'intérieur de la basilique, de garnir la nef du haut en bas, et d'orner le catafalque royal traditionnellement placé sur la sépulture de Philippe Auguste.
Chaque jour, le matin, à midi, le soir, on sonnait le trépas du Roi.
La grande salle capitulaire de l'abbaye - actuel atelier de dessin de la maison de la Légion d'Honneur - accueillait les militaires de service. Les gardes du corps du Roi séjournaient dans l'actuelle chapelle où un catafalque secondaire avait été érigé.
Pendant les 40 jours du dépôt, une table avait été dressée dans la Salle des Gardes. Devant elle, un fauteuil d'apparat demeurait vide et, au moment du dîner, le héraut annonçait : "Le Roi est servi ... le Roi est mort !"
Le jour de l'inhumation, le grand aumônier du roi et le régent, entouré des moines et du Grand prieur, présidèrent la cérémonie, prenant place dans une stalle ornée de velours violet.
Les gardes suisses étaient répartis dans le choeur de l'abbatiale, alors que les gardes du corps entouraient le catafalque.
Chaque membre de la cour avait pris place selon son rang.
Le cercueil avait quitté la chapelle ardente pour prendre place au premier étage de l'immense catafalque dont le volume évoquait un obélisque reposant sur un lourd coffrage. Les degrés étaient garnis de cierges ardents, pourvus aux angles de figures allégoriques et, au registre inférieur, de statues colossales symbolisant les vertus du prince décédé. Une draperie noire, semée de fleurs de lys, de larmes, et de cartouches d'argent brodé, garnissait l'ensemble.
L’évêque de Castres, M. de Beaujeu, prononça l’oraison funèbre, tandis qu’au même moment s’en prononçaient d’autres à Notre-Dame de Paris, aux Jésuites, à la Sainte-Chapelle (où le célèbre Massillon parla à la demande de la chambre des comptes), à Saint-Jean-de-Grève, etc.
La messe des morts se déroula ainsi, interrompue par l'offrande que la famille royale et les dignitaires effectuèrent devant un cierge de 5 livres auquel 5 écus d'or sont fixés.
Au terme de l'office, 12 gentilshommes de la maison du Roi emportèrent le cercueil, aidés de 12 chevaliers des Ordres.
Ils le déposèrent près de l'escalier des Bourbons. Le prédécesseur du monarque défunt fut alors libéré de sa longue attente au bas des degrés, et son successeur prit sa place.
Un héraut d'armes accompagna le Roi dans sa dernière demeure et recouvrit la bière du manteau royal.
Il appella ses collègues à "faire leur office".
Eut lieu alors la traditionnelle cérémonie de remise des honneurs : éperons, écu, cotte d’armes, heaume, pannon, épée royale, main de justice, sceptre, couronne. Le duc de la Trémouille, faisant fonction de grand maître de France, mit son bâton dans le caveau ; les maîtres d’hôtel rompirent le leur.
Une voix lugubre, sortie d'outre-tombe, proclama alors : " Le Roi est mort... Priez Dieu pour lui !". Le héraut sortit alors du caveau et clamea: "Vive le Roi, vive le Roi Louis XV !" Car le Roi de France ne meurt jamais et la continuité monarchique est assurée.
Si la famille royale quitta les lieux, les grands du royaume et les corps constitués restèrent encore un peu à l'abbaye. Car le soir, un festin solennel y était organisé dans les grandes salles du monastère.
Pendant ce temps, le trésorier de Saint-Denis et ses aides avaient retiré les regalia et les objets jetés dans le caveau ; ils allèrent enrichir le fabuleux trésor de Saint-Denis.
On est décidément loin de ces obsèques presque anonymes, expédiées à la hâte, en présence d’une assemblée clairsemée et désireuse d’en finir, dont parle Saint-Simon. En réalité, ce fut une cérémonie magnifique et digne du Grand Roi.