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Le tombeau de Charles VI et d'Isabeau de Bavière (1424-1429)Le tombeau (simplifié) de Charles VI et d'Isabeau de Bavière, état actuel Le roi Charles VI (+1422) et son épouse Isabeau de Bavière (+1435), ainsi que le premier dauphin Charles (+1386) furent tous trois enterrés dans la chapelle palatine de Charles V (chapelle Saint Jean-Baptiste). Le roi et la reine ont reçu un tombeau imposant, de facture traditionnelle avec un gros socle très orné de colonnettes et de pleurants. Les deux gisants sont commandés par Isabeau en 1424 et achevés en 1429 par le sculpteur Pierre de Thoiry. Pour le dauphin, une plaque de bronze ornée avec une épitaphe était à côté de la sépulture du chambellan de Charles V, Bureau de Rivière.
Le tombeau de Charles VI et d'Isabeau de Bavière, état d'origine (collection Gaignière, © BNF)
On remarquera que cette représentation du tombeau remonte au XVII° s., mais que dès
cette époque il manquait des pleurants ou enfants royaux, ainsi que les sceptres et mains de justice
(disparus à une époque indéterminée)
Pour l'essentiel, le tombeau est toutefois assez intact (dais, colonnes, inscriptions etc...) Le gisant du roi se distingue par une expression de folie inquiète et distante, empreinte d’une grande tristesse, qui contraste avec le visage serein d’Isabeau. Par sa grande sensibilité, la réalisation de ces deux portraits royaux en fait deux grands chefs d’œuvre de cette époque. Comme il était d’usage chez les Valois, Charles VI porte le sceptre et la main de justice.
Gisants de Charles VI et d'Isabeau de Bavière
© Ciccione Sans doute Pierre de Thoiry est-il ce « Pierre de Tury » qui réalisa, à peine Charles VI mort, la statue du défunt roi dans la Grand salle du palais de la Cité, à la suite de celles des précédents rois de France (la salle et les statues juchées en haut des colonnes ont brûlé lors du grand incendie du palais en 1618; la dernière statue était celle d’Henri III )
Ayant hérité à la mort de Charles V du plus puissant royaume d’Occident (1380), le règne de Charles VI avait bien commencé et de l’avis des historiens, le personnage était assez remarquable.
La tragédie de son règne – le plus catastrophique de l’histoire - n’en est que plus shakespearienne.
Devenu fou, Charles VI est le spectateur inconscient et passif de la guerre civile qui éclate entre Armagnacs et Bourguignons, entre la famille de son frère Louis d’Orléans et celle de son cousin Jean sans Peur duc de Bourgogne.
Puis survient l’invasion étrangère. Henri V, roi d’Angleterre, profite de la folie du roi de France et de l’anarchie du royaume des lys pour l'envahir.
Après l’écrasement de l’armée royale française à Azincourt (1415), les Anglais occupent tout le pays au Nord de la Loire. Sous pression bourguignonne, la reine Isabeau de Bavière signe le désastreux traité de Troyes qui fait d’Henri V, roi d’Angleterre, le futur successeur de Charles VI et déshérite le véritable héritier, le dauphin Charles (futur roi Charles VII ). La France était en passe de devenir anglaise… et le serait devenue sans la miraculeuse intervention de Jeanne d’Arc (1429), sept ans après la mort de Charles VI.
C’est à l’hôtel Saint-Pol, à Paris, que Charles VI rendit son dernier souffle le 21 octobre 1422.
Le 9 novembre, le cortège funèbre se forma dans la cour de l’hôtel Saint-Pol, « devant la porte devers les Célestins », pour gagner Notre-Dame en passant devant l’église Saint-Paul « en la grant rue Saint-Antoine ». La procession, présidée par le duc de Bedford, chef des troupes d’occupation, et l’évêque de Paris, prit le lendemain la direction de Saint-Denis où le roi fut inhumé. Pour ne pas figurer derrière l’Anglais, les ducs de Bourgogne et de Bretagne ne vinrent pas aux obsèques.
L'effigie de Charles VI © BNF Comme l’ont souligné de nombreux historiens, la mort de Charles VI a marqué un tournant dans la pratique funéraire des rois de France. Nous savons que son cadavre a été éviscéré afin de permettre une meilleure conservation du corps : «… son corps vuide des entrailles et rempli d’épices et d’herbes… »
Après l’embaumement, la dépouille du monarque fut exposée et veillée pendant près de trois semaines.
La nouveauté ne provient pas de l’éviscération, systématique sur les corps royaux depuis la fin du XIII° s., mais de la durée de l’exposition de la dépouille. Pour remédier aux effets du temps, et pour la première fois en France, une effigie funèbre, représentant le roi, réalisée d’après le masque mortuaire, vêtue et parée des attributs royaux, fut utilisée. Placée sur le cercueil, elle permit au cérémonial funéraire de durer plus de 20 jours. C’était un mannequin soigneusement réalisé par un artiste. D’après le moulage pris aussitôt après la mort de Charles, il avait fait un masque de cuir bouilli, d’une ressemblance exacte. Sur la tête fut mis « du poil au plus près de la chevelure » que portait le roi. Le mannequin était vêtu du costume royal, manteau d’hermine et souliers de velours bleu à fleurs de lys d’or. Les mains recouvertes de gants blancs brodés portaient le sceptre et la main de justice. Une couronne était posée sur la tête.
Le masque de cuir bouilli ainsi que le masque mortuaire ont servi de sources d’inspiration à Pierre de Thoiry pour sculpter le visage de Charles VI. La folie semble avoir poursuivi le roi jusqu’au trépas, car l’on retrouve dans son masque mortuaire une expression d’égarement marquée dans le pli amer de la bouche et les traits tirés du visage
Visage du roi fou, posthume,
défiguré par les crises de délire.
Il a été inspiré par le masque mortuaire
et la tête de cuir bouilli.
Le nez, cassé à la Révolution, a été
remplacé par un nez inadapté.
Pourtant, au début de son règne, Charles VI était un
beau et vaillant jeune homme, aimé de ses sujets.
(Statue de la Grande salle du palais du duc Jean de Berry
actuel palais de justice). Le beau visage du roi de France au début
d'un règne qui s'annonçait heureux.
Quel contraste avec le masque du gisant,
portrait d'un roi âgé et malade... !
Visage du gisant de la reine Isabeau,
à la fin du long règne...
Le nez, cassé, a été remplacé au XIX° siècle,
... sans talent.Statue en pied de la jeune reine Isabeau, au début du règne
(Statue de la Grande salle du palais du duc Jean de Berry
actuel palais de justice).
Isabeau, peu après son couronnement.
Les contemporains insistent sur la
beauté et la grâce de la jeune reine.
La face de son gisant, elle, ne représente plus qu'une
femme, usée par la vie et la tragédie politique...
Autre innovation, le corps reste entier et le cœur, pour la première fois, n’en sera pas extrait. On est sûr qu’aucun monument de cœur n’a été construit ni commandé (malgré une affirmation du XVII°s., infondée, d’une inhumation aux Célestins). Rédigé au mois de janvier 1393, le testament du roi semble indiquer le souhait de reposer « entier » dans la nécropole dionysienne. Le monument de corps sert donc aussi de monument de cœur et d’entrailles, pour un corps gardant son intégrité.
Le somptueux monument fut cassé et démantelé au mois d’août 1793. Le caveau fut enfoncé et les cercueils éventrés pour y trouver des objets précieux. Ce n’est toutefois que le jeudi 17 octobre 1793 que les corps furent profanés. On extrait des cercueils des « ossements desséchés ». Ils furent jetés à la fosse commune au Nord du transept. Le rapport de Dom Poirier ajoute : « On mit en pièces et en morceaux leurs belles statues de marbre, et on pilla ce qui pouvait être précieux dans leurs cercueils. »
On peut se demander s’il n’y a pas là une confusion. Certes, le tombeau, lui, a bien été détruit. Mais les gisants, eux, n’ont souffert que superficiellement (couronnes et nez cassés...) Alexandre Lenoir a pu les sauver. Ou Dom Druon a confondu les gisants et les pleurants… ou il a confondu avec les gisants de Charles VII et de Marie d’Anjou qui, eux, ont bien été brisés.
La "chapelle des Charles - état actuel
Au fond, le tombeau de Charles VI et d'Isabeau de Bavière Dans la 1° moitié du XIX°s. les architectes Debret et Violet-le-Duc ont restauré les gisants et le second a tenté une restitution ultra-minimaliste : un socle très simple, les gisants reposant sur une dalle de marbre noire. Il n’y a plus ni dais, ni animaux aux pieds des gisants, ni cortège de petits personnages autour du socle, ni colonnettes.
On est loin de la splendeur d'antan...
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