LE TOMBEAU DE CHARLES VIII
Le tombeau du roi Charles VIII (1483-1798) était l'un des plus riches de Saint-Denis, réalisé en grande partie en bronze doré et en émail. Comme tous les tombeaux n'étant pas de pierre, il fut fondu dès 1792. Les derniers vestiges disparurent en 1793
La mort du roi Charles VIII marque une rupture avec les traditions monumentales médiévales des gisants sur dalle de marbre.
Installé dans le transept, il était d'une étonnante originalité. On estime qu'il est le précurseur des nouveaux usages funéraires qui seront en vogue pendant un siècle avant de s'éteindre brusquement en 1610, à la mort d'Henri IV - qui sera le premier roi à ne pas avoir un monument funéraire depuis quatre siècles.
Tombeau de Charles VIII(dessin provenant des recueils de Gaignières. Tombeaux volume 2) - folio 48 Charles VIII meurt prématurément, à 27 ans, le 7 avril 1498 au château d'Amboise, en regardant jouer à la paume, après avoir violemment heurté du front un linteau de pierre sur la montée cavalière du château. Après sa mort, la succession revient à son cousin Louis XII, lequel épouse également sa veuve, Anne de Bretagne. Il est inhumé à la basilique Saint-Denis tandis que son cœur rejoint la Basilique Notre-Dame de Cléry, afin qu'il puisse être près de ses parents, Louis XI et Charlotte de Savoie. Ce qui montre que le jeune souverain avait dû songer à sa mort et à sa sépulture, comme Charles V en son temps.
Pourtant, Charles VIII ne fut pas inhumé dans la chapelle établie par Charles V, qui était devenue la chapelle des "rois Charles" - comme son nom pouvait l'y prédisposer. C'est que la place manquait dans cette chapelle déjà bien remplie de monuments funéraires des XIV° et XV° siècles.
Il fut enterré dans l'un des lieux les mieux exposés de l'église : à la croisée du transept, au Nord-Ouest du maître-autel. Ce secteur n'avait connu aucune modification depuis l'enterrement de Jeanne de France et de Navarre aux pieds de son père Louis X le Hutin en 1349.
Cartel de la basilique -
On reconnait le tombeau de Charles VIII à l'orant royal
et aux quatre anges en bas à gauche du planCe choix d'un emplacement aussi privilégié était audacieux.
Sans doute faut-il y voir la volonté de la jeune veuve du roi, Anne de Bretagne. On peut en dire autant pour la conception esthétique du tombeau. Mais le roi avait peut-être avant sa mort montré son admiration pour le tombeau de son père, le roi Louis XI, inhumé à Cléry Saint-André.
Les monuments funéraires ayant inspiré le tombeau de Charles VIII- A Cléry Saint-André, la statue en cuivre et bronze doré de Louis XI, père de Charles VIII - disparue pendant les Guerres de religion -, représentait le roi en habits de chasseur, priant à genoux devant Notre-Dame sur un coussin aux couleurs des armes de France. Elle était l'oeuvre de l'orfèvre Conrad de Cologne et du fondeur Laurent Wrine. En vérité, la statue dégageait une réelle simplicité, tenant un chapeau de chasseur entre les mains et accompagné de son chien.
Ancien priant en cuivre et bronze de Louis XI à Cléry(détruit par les huguenots dans la 2° moitié du XVI°s) - Il y a aussi des coïncidences iconographiques et stylistiques entre le tombeau de Charles VIII et les autres monuments funéraires commandés par Anne et son second époux le roi Louis XII.
En 1499, la reine commande à Jean Perréal et à Michel Colombe un magnifique monument à la mémoire de ses parents pour l'église des Carmes de Nantes où reposaient son père François II, duc de Bretagne, et sa première femme, Marguerite de Bretagne. Y reposaient aussi le fils unique des défunts et y sera transféré le corps de la mère d'Anne, Marguerite de Foix, après l'achèvement du tombeau.
Certes, les parents d'Anne sont représentés couchés sur une plate-forme de marbre noire, dans une position classiquement médiévale. Mais trois anges soutiennent les coussins sur lesquels repose leur tête. Les armoiries sont figurées aux pieds, celles du duc portées par un lion et celles de la duchesse par un lévrier. Aux angles du socle se trouvent les quatre grandes statues des Vertus montant la garde, derrière lesquelles figurent les armes de Bretagne. Sur le bloc inférieur du tombeau, des pleurants vêtus de noir sont sculptés dans des médaillons.
Tombeau de François II et de Marguerite de Bretagne
...aujourd'hui dans la cathédrale de Nantes
On retrouve une disposition en partie analogue pour un autre tombeau commandé par Anne, celui des deux fils qu'elle avait eu avec Charles VIII et qui étaient enterrés à Saint-Martin de Tours. Les gisants reposent leur tête sur des coussins soutenus par deux anges et, à leurs pieds, deux autres anges présentent les armoiries des défunts. Les armes, couronnées, étaient représentées de nouveau sur le soubassement du tombeau.
Tombeau des enfants de Charles VIII et d'Anne de Bretagne
Cathédrale de Tours
De même, c'est au retour de son expédition en Italie en 1500 que Louis XII fit élever le monument funéraire à la mémoire de ses ancêtres Louis d'Orléans et Valentine Visconti aux Célestins. Les artistes sont deux Milanais et deux Florentins. Dans les niches, on voit les apôtres, les évangélistes et les saints, le tout traité selon un type italien.
L'originalité du tombeau de Charles VIIITous ces monuments commémoratifs ont dû être une source d'inspiration pour les commanditaires comme pour les artistes. Cependant, le monument de Charles VIII, de par son emplacement, allait attirer tous les regards. Il devait donc être plus impressionnant que tous les tombeaux commandées par Anne de Bretagne et par Louis XII pour leurs plus proches parents. Mais la reine en a bel et bien supervisé la conception puis les travaux. L'exécution en fut confiée à l'Italien Guido Paganino Mazzoni, "chevalier, painctre et enlumineur" que Charles VIII avait ramené de ses conquêtes italiennes, et qui était passé au service de Louis XII.
De fait, ce tombeau surpassait tous les autres à Saint-Denis par ses dimensions et son ornementation somptueuse
Le monument mesurait 8 pieds et demi de long et 4 pieds et demi de large. Il dominait les gisants médiévaux en avant desquels il fut placé.
La
statue monumentale en bronze doré représentant le roi en orant. Celui-ci était revêtu de la robe bleue à fleurs de lys dorées réalisée en émail. C'était assurément l'élément le plus remarquable de ce tombeau unique par la somptuosité.
Cette attitude rappelait la statue de Louis XI à Cléry. Mais alors que ce dernier était représenté en chasseur, Charles VIII, lui, présentait une image de roi en majesté, pieux, absorbé dans la prière. Le priant était tourné vers le maître -autel et le tombeau de saint-Denis et de ses deux compagnons.
Aux quatre angles du socle, des anges en bronze polychrome, comme les anges de Tours et les animaux de Nantes, portaient des écus avec les armoiries de France, Naples, Sicile et Jérusalem ... mais curieusement sous une forme utilisée par Louis XII !
Le soubassement rectangulaire était orné de figures féminines dans des médaillons - comme au tombeau de François II à Nantes. Elles représentaient peut-être des vertus ou des pleurants (?) comme à Nantes également.
Des rubans de "K" entrelacés se déroulaient entre ces figures féminines, sur tout le pourtour du soubassement.
Devant le roi se trouvait un prie-Dieu, où un livre de prière était ouvert, juste à côté d'une couronne fermée. Celle-ci représentait-elle l'union des deux royaumes revendiqués par Charles VIII ?
Mémoire du tombeau de Charles VIIICe tombeau a beaucoup influencé les réalisations postérieures de la basilique, notamment à cause de la représentation du souverain en prière, sans couronne. Elle sera reprise au XVI° dans les tombeaux à transis ( Louis XII, François I° et Henri II ).
La Révolution vint à bout de cette réalisation exceptionnelle dont la richesse métallique devint une faiblesse au moment où l'on fondait toutes les plaques de métal dans l'abbaye dévastée.
Après le 10 août 1792 - chute de la royauté - les 4 anges et l'effigie qui était en bronze sont retirés puis fondus.
Le 08 aout 1793 a lieu la démolition des restes du tombeau (les marbres, pour l'essentiel...)
Enfin, le 13 octobre 1793, le caveau est ouvert et les révolutionnaires découvrent le cercueil de plomb posé sur des tréteaux. Dedans on a trouvé des os presque desséchés. Ils furent jetés dans l'une des deux fosses communes au Nord de l'église.
Il ne reste aujourd'hui plus rien du tombeau de Charles VIII. Le souvenir de cette merveille ne nous est conservé que par des descriptions et dessins qui ne peuvent consoler de cette perte catastrophique pour la basilique et notre patrimoine en général.
L'emplacement du tombeau est aujourd'hui occupé par un modeste armonium...