.
Proposition de rétablissement du décor monumental XIII°s restitué par Violet-le-Duc pour les tombeaux de la commande de Saint Louis dans le transept (et démembré par Formigé dans les années 1950)
On peut regretter la « dérestauration » opérée par l’architecte Jules Formigé sur les tombeaux de la commande de Saint-Louis à partir de 1952. Les intelligentes restitutions de l’état XIII°-XVIII°s réalisées par Violet-le-Duc et Guilhermy ont alors été impitoyablement sacrifiées au profit d’une présentation d’une médiocre sobriété.
Pourtant, l’architecture de ces tombeaux soutenant les gisants n’a été que démantelée et pourrait être rétablie.
La croisée du transept fut totalement réorganisée sous l’abbatiat deMathieu de Vendôme pour disposer les gisants nouvellement réalisés pour la « commande de Saint Louis ».
Entre les translations des cendres royales, effectuées en deux campagnes au cours de l’année 1264, et la dédicace des nouveaux tombeaux en 1267, trois se sont écoulés qu’on a pu consacrer à la réalisation des nouveaux monuments funéraires.
Les gisants étaient installés deux par deux, chaque statue identifiée par une inscription. Ils reposaient sur de massifs blocs en pierre, la tête posée sur un coussin.
Un arc trilobé se dressait derrière chaque figure couronnée.
Les doubles sarcophages étaient décorés sur les côtés de colonnades simplement sculptées, et à leur tête étaient disposés des piliers servant à porter des torches ou des cierges lors de cérémonies.
Dessin de Violet-le-Duc, d'après originaux de Gaignières et fragments d'origine subsistants Ces monuments furent détruits en 1793. Seuls les gisants (à l’exception de ceux d’Eudes et de Hugues Capet, disparus) et plusieurs fragments importants des soubassement et des arcs furent sauvés.
Tombeaux de Eude et de Hugues I° (dit Capet) -
on reconnait très bien la structure commune aux tombeaux de la grande commande.
Il est vrai qu'au XVII°s, les piliers avaient été amputés ; la dégradation était avancée.
Collection Gaignières. Violet-le-Duc et Guilhermy rétablirent au milieu du XIX°s les tombeaux dans leur état du XIII°s en reconstituant les socles, les dossiers et les colonnettes. Pour ce faire, ils étudièrent les dessins de Gaignières et surtout les fragments conservés ayant échappé aux destructions révolutionnaires. On se trouvait donc avec des restitutions fidèles aux modèles originaux.
Tombeaux croisée du transept, côté Nord, état avant 1958idem Tombeaux croisée du transept, côté Sud, état avant 1958
Tombeau de Pépin et de Berthe, état avant 1958 - On remarque les alvéoles derrière la tête des deux gisants. Hélas, cette présentation fut disloquée plus d’un siècle après pour des motifs de mode bien fragiles. Dans les années 1950 et 1960, les architectes comme les historiens de l’art sont adeptes de la sobriété à tout prix. Autant dire que les restaurations dites « à la Violet-le-Duc » ne sont plus en odeur de sainteté. Au contraire, une vague de dérestauration frappe de nombreux monuments en France, châteaux et églises. Que l’on songe à celle (radicalement catastrophique) des intérieurs de Chaumont ou à celles de Courances (les toitures) ou de Villandry. Dans les édifices religieux, le clergé conciliaire va prêter main-forte à cette lame de fond au nom d’une nouvelle sobriété chrétienne. Le mobilier des églises parisiennes en a souvent fait les frais.
Ici, à Saint-Denis, la logique fut plutôt de mettre en avant la démarche muséologique au détriment du mémoriel ou de l’esthétique. Rabaisser les gisants était une façon d’en faire des pièces de musée plus facilement observables des touristes
En 1952, Jules Formigé sollicitait donc 6 millions de francs pour supprimer les reconstitutions que Violet-le-Duc et Guilhermy avaient réalisées. C’est ainsi que les gisants ont été retirés des soubassements du XIX°s pour être placés sur des blocs de pierre d’une très grande simplicité. Les tombeaux furent alors démantelés et il ne reste plus rien de la reconstitution de l’état XIII°s qui avait tout de même perduré jusqu’à la Révolution et que Violet-le-Duc avait eu quelque raison de rétablir.
Etats après l'intervention de Jules Formigé. Les décors restituant les tombeaux du XIII°s ont disparu.
Les gisants se retrouvent sur une simple pierre taillée d'exposition.
Cette décision laisse un goût amer lorsque l’on observe aujourd’hui la pauvreté de la présentation. Celle-ci est du reste parfaitement arbitraire puisqu’elle donne des tombeaux royaux un état squelettique qui n’a jamais existé et qui n’a aucun fondement historique.
En outre, les gisants sont aujourd’hui beaucoup trop bas et ne correspondent en rien aux proportions d’un tombeau médiéval.
C’est d’ailleurs si vrai que lorsque le visiteur s’avance le long de la nef centrale et parvient à la croisée du transept, il les voit à peine et il lui faut un instant d’attention pour les situer et les contempler. La vue d’ensemble, rasante, ne les repère plus immédiatement, à l’inverse de l’état antérieur aux années 1950 où le visiteur pouvait de prime abord, d’un seul coup d’œil , embrasser l’ensemble des monuments funéraires royaux.
Certes, on peut voir les gisants de près – et le cas échéant les toucher !!! – tout en contemplant les détails du travail de l’artiste de face et non plus seulement de profil à hauteur de poitrine.
Mais des solutions pratiques auraient pu être mises en œuvre pour permettre aux visiteurs de les admirer avec autant de facilité, notamment par de courtes estrades comme on peut en voir dans certains monuments historiques. Ces commodités n’auraient du reste pas été visibles depuis la croisée et seraient demeurées discrètes du côté des bras du transept.
Toujours est-il que la présentation Formigé n’est guère satisfaisante et a fait perdre à la nécropole et à ses gisants leur majesté.
Un rétablissement de l’état antérieur aux années 1950 serait d’autant plus facile techniquement que les vestiges des décors de Violet-le-Duc et Guilhermy subsistent dans le dépôt lapidaire, derrière le chevet de la basilique, avec différents éléments éliminés par Formigé. Malheureusement, ceux-ci restent pour l’instant à l’air libre faute de place …
On reconnait à gauche les soubassements d'un des tombeaux démantelés après 1952
- photo septembre 2011 .