On connait en effet à peu près le projet de François Mansart.
Mais en 1665, Colbert lança bien une sorte de concours d'architecture. Et Le Bernin autant que Mansart fut invité à plancher sur le projet.
I - L'échec des deux projets pour Saint-DenisOn ne sait que peu de choses sur le projet du Bernin, si ce n'est à travers le Journal de Fréart de Chantelou, son guide français, et un dessin conservé à Stockholm. Le 15 septembre 1665, le Cavalier Bernin demandait aux moines de Saint-Denis à voir un plan d'ensemble de l'abbaye (pour dégager de l'espace) et fit un "tour de l'église" pour se mettre sans délai au travail.
Le Bernin aurait de fait présenté deux projets, mais qui sont regroupés dans le dessin de Stockholm :
1) une ambitieuse rotonde circulaire à huit grandes chapelles rayonnantes, alternativement carrées et ovales, et toutes creusées de niches.
Comme pour la rotonde des Valois (monument qui a inspiré tant Mansart que Le Bernin), le tombeau de Louis XIV aurait occupé l'espace central, alors que celles de ses principaux prédécesseurs (dont Saint Louis) aurait occupé, en compagnie des descendants du Roi Soleil, les chapelles satellites.
2) Le second projet, plus modeste, était constitué de quatre grandes chapelles rectangulaires disposées sur les diagonales d'un espace central octogonal. Un solide soubassement à gradins concentriques aurait racheté la forte surélévation du choeur gothique pour donner une position dominante au mausolée.
Le Bernin, Chapelle des Bourbons à Saint-Denis
Stockholm, Nationalmuseum De son côté, Mansart ne juxtapose pas, lui, des chapelles de même ampleur, mais utilise les contrastes de forme et de volume des chapelles, grandes et ovoïdes sur les axes, rondes et petites sur les diagonales.
Résultat de cette harmonieuse complexité : en élévation, ce plan extraordinaire génère une couronne de dômes de taille différentes qui gravitent autour du grand dôme central.
Mansart avait aussi proposé un plan moins ambitieux avec des chapelles satellites intégrées dans une base quadrangulaire d'où émerge un grand dôme unique. C'est l'idée qui sera reprise aux Invalides.
En tout cas, Colbert finit par écarter tous ces projets, au prétexte qu'ils devenaient trop coûteux et que l'église elle-même ne serait plus que l'accessoire de ce vaisseau.
Le Bernin proposa alors d'élever un monument pour les Bourbons à l'intérieur de la basilique !
Mansart, lui, dessine une simple chapelle funéraire à la place de la chapelle d'axe de l'église.
Et pourtant ... rien ne fut réalisé. On continue encore aujourd'hui de se demander pourquoi...
II - Une explication ??? Le mausolée de Louis XIV aurait été construit ... mais finalement aux Invalides !Cette thèse étonnante s'appuie sur les constats d'historiens de l'art des plus sérieux : il y aurait bien un mausolée "secret" de Louis XIV ... au coeur de ce monument parisien célèbre.
Le dossier se retrouve dans le n°21 de L'Estampille-L'Objet d'Art.
Je résume cette thèse.
Comment imaginer que la soif de bâtir de Louis XIV, après des projets si ingénieux, se soit arrêté là pour ce qui devait marquer sa postérité funéraire ?
C'est qu'en 1670, Louis XIV fondait l'Hôtel royal des Invalides.Libéral Bruant avait dressé les plans de l'édifice. Mais en 1676, alors que les travaux étaient en voie d'achèvement, le chantier est brusquement confié à Jules Hardouin-Mansart, auteur d'un projet grandiose s'inspirant de l'étude de son grand oncle pour la grande chapelle des Bourbons à Saint-Denis. C'est qu'Hardouin-Mansart lance la grande église dont les travaux s'échelonnent de 1677 à 1691 - mais le dôme, lui, ne fut consacré qu'en 1706.
Or, si l'église peut se justifier (pour les soldats invalides) le grand dôme, lui, n'était d'aucune utilité et n'en a pas revendiqué jusqu'en 1844 [ installation du tombeau de Napoléon I° ] ! Du coup, on ne cesse de s'interroger sur le grand vide inutile laissé vacant entre 1706 et 1844 !
Dès le début du XVIII°s, le père Laugier, théologien jésuite, n'y voyait que l'emplacement de la sépulture d'un roi.
Faute de documents explicites, la volonté de Louis XIV concernant le dôme reste un mystère.
Mais il existe un très solide faisceau de présomptions.
Coupe londitudinale de l'église du Dôme, Invalides, Paris (projet de 1683)
Le flèche était en forme d'obélisque. 1) Le décor externe et interne du dôme devait recevoir à l'origine des éléments à connotation funéraire et triomphale :
- Le sujet de la fresque de la coupole (La Gloire de Louis XIV, au lieu de l'Apothéose de Saint-Louis visible de nos jours)
- La structure primitive de la flèche en forme d'obélisque à trois faces, symbole de la Trinité tiré du songe de Poliphile
- Le baldaquin surmontant le maître-autel avec ses grandes palmes (vieux symbole chrétien de la victoire sur la mort) en guise de dais
Or, = tous ces éléments prévus ont été supprimés par la suite !
2) Sur le plan gravé de la Description générale de l'Hôstel Royal des Invalides (1683), les deux autels latéraux sont dédiés à la Vierge et à Saint-Louis, mais le titre du maître-autel n'est pas précisé (il ne sera que plus tard dédié lui aussi à Saint-Louis) ni la fonction de la grande crypte sous le sanctuaire ... emplacemant de prestige qui aurait été tout désigné pour une sépulture royale.
3) Comme l'a remarqué Alain Erlande-Brandenburg, le dôme des Invalides, comme la Rotonde des Valois, adoptait la forme traditionnelle des mausolées : le plan centré à coupole, les grandes chapelles satellites, les caveaux funéraires.
4) Enfin, comme l'a noté Laurent Lecomte, le plan du dôme des Invalides, apparemment assez simple, combine en réalité trois formes emboîtées l'une dans l'autre :
- la croix grecque
- l'octogone
- le cercle
Les quatre piliers de la croisée sont flanqués de colonnes majestueuses qui n'avaient apparemment pas d'autres fonctions que de soutenir des tribunes. Or, ces colonnes s'inscrivent dans la circonférence d'un cercle parfait.
Le plan circulaire étant traditionnellement associé à la Vierge et à la tombe, la rotonde funéraire et mariale.
La rotonde des Valois avait pour nom "Notre-Dame de la Rotonde" ; l'église du Dôme est bien dédiée à la Vierge, protectrice du royaume.
En tout cas, cette tentation du dôme dont le modèle lui fut présenté pour la première fois à Saint-Germain le 5 février 1677, aurait fini par faire reculer le roi. Car, comme souvent à travers les siècles, de Philippe III à Louis XIV, la susceptibilité de l'abbaye de Saint-Denis par rapport aux dépouilles royales aurait été mise en dure épreuve.
Les protestations du traditionnel "cimetière des rois" auraient été nombreuses. A l'heure où le transfert de la cour des Tuileries à Versailles se dessinait - sujet déjà sensible pour les Parisiens -, il devenait raisonnable de ne pas multiplier les objets de conflit. Louis XIV aurait donc tenu à garder le projet secret.
Mais finalement, en 1704, Louis XIV annonçait sa volonté d'être inhumé à Saint-Denis, au milieu de ses ancêtres, comme l'exigeait la tradition royale.
Et les Bourbons n'eurent jamais de tombeaux dignes de ce nom, à l'inverse des rois des dynasties précédentes. Leurs cercueils furent déposés sur des tréteaux, dans la crypte.