Le couronnement de Marie de Médicis à Saint-Denis le 13 mai 1610
Au printemps 1610, Henri IV s'apprête à partir en guerre contre le Saint-empire et peut-être contre l'Espagne, en raison de la crise de succession de Clèves et Juliers, placés sous séquestre par l'empereur Rodolphe II.
Devant s'absenter durant une longue période et envisageant sa propre mort, le Roi doit laisser la régence à son épouse. Il la sait la mieux placée pour veiller sur la minorité de leur fils et le protéger contre les entreprises des grands féodaux.
Le sacre de Marie fortifiera sa légitimité et l'aidera à s'imposer.
La cour s'est installé à Saint-Denis le 12 au soir, pour être à pied d'oeuvre. On a veillé à la préparation minutieuse de la cérémonie qui ne doit pas souffrir des improvisations du sacre d'Henri IV à Reims le 27 février 1594 - Reims était encore entre les griffes de la Ligue.
On ne manqua donc à aucun usage ni à aucune magnificence.
On veilla à bien éviter tout incident et à ne prêter à aucune critique ; ainsi, l'Evangile du jour - ch. X de Marc où il est demandé à Jésus si un homme peut répudier sa femme légitime - fut promptement remplacé, la reine Marguerite de Valois, dont le mariage avec Henri IV avait été annulé, étant présente !
Ce 13 mai, la basilique brilla de tout son éclat.
Musée du Louvre - Département des peinturesDans une galerie latérale, surplombant l'autel, une tribune vitrée est réservée au Roi. La nef a été garnie de dix-neuf travées de gradins où s'installent tous les invités de marque, par ordre de préséance. Il y a bien eu une algarade entre l'ambassadeur de Toscane et celui des Provinces-Unies, mais c'était chose habituelle en de telles circonstances...
Néanmoins, les contemporains remarquèrent quelques détails interprétés comme de mauvais présages : la vitre de la loge royale brisée en un angle par un mouvement maladroit du duc de Montbazon, la dalle de la crypte royale fendue, la couronne portée par Marie qui faillit tomber...
Pour autant, la cérémonie s'est fort bien déroulée.
Au matin du 13, la reine patiente dans sa chambre, ses appartements ayant été préparés dans l'abbaye. Elle était habillée "en corset, surcot d'hermine, manteau, ornement de tête et autres habits royaux; son manteau était de velours semé de fleurs de lys d'or, fourré d'hermine, ayant la queue longue de sept aunes, son ornement de tête tout garni de pierreries, comme son surcot garni de gros diamants, rubis et émeraudes, de valeur et prix inestimable..." (Extrait de la relation officielle notée dans le Journal de Pierre de l'Estoile).
Sur les deux heures, la reine arrive dans l'église avec le long cortège de ses dames.
Elle se met alors à genoux sur un gros coussin devant le grand autel autour duquel ont pris place les cardinaux de Sourdis, du Perron, de Gondi et de Joyeuse en grands ornements pontificaux; un grand nombre d'évêques et d'abbés sont également présents. La reine fait sa prière puis baise un reliquaire présenté par le cardinal de Joyeuse. Elle monte ensuite les marches qui la mènent à son trône. Le dauphin, futur Louis XIII, s'assit sur une chaise en contrebas.
Toutes les dames présentes - y compris la reine Marguerite, font chacune la grande révérence. Pendant ce temps, l'orchestre, revêtu des livrées de la reine, joue divers airs.
Puis les cardinaux reconduisent la reine à l'autel, les princesses portant la queue du manteau.
Le cardinal de Joyeuse fait l'oraison, verse l'onction de l'huile consacrée (qui n'est pas celle du baume de la Sainte-Ampoule, réservé au Roi) à la tête et à la poitrine : "Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! Cette onction d'huile te profite en honneur et confirmation éternelle."
L'anneau, le sceptre et la main de justice sont remis à la reine. Pendant ce temps, les oraisons se poursuivent.
Un autre évêque présente la grande couronne (celle de Jeanne d'Evreux) au dessus de la tête de la reine mais ne la pose pas. Le dauphin et Madame Elisabeth, ainée des filles du couple royal, portent la main à la couronne de sa mère, comme s'ils aidaient à la tenir.
C'est alors que le prince de Conti prend la grande couronne et l'éloigne. Et c'est une autre couronne, moins pesante et plus petite, mais couverte de diamants et de perles, qui est posée sur la tête de la reine par le cardinal, le dauphin et Madame. Le cardinal dit alors : "Prends la couronne de gloire, d'honneur et de liesse, afin que tu reluises splendide, et sois couronnée de joie perpétuable !"
Les oraisons reprennent.
La reine se décharge alors du sceptre et de la main de justice entre les mains de César et Alexandre de Vendôme, fils légitimés du Roi, puis est ramenée en son trône. Le prince de Conti repose alors devant la reine la grande couronne. Les deux autres princes tenant sceptre et main de justice en font autant. Tous trois se mettent à genoux devant la reine.
Alors le cardinal de Joyeuse commence la messe. La reine ne quitte son trône surélevé que pour la communion à l'autel.
La messe finie, les hérauts d'armes lancent une grande quantité de pièces d'or et d'argent à la foule.
La reine redescend de la grande estrade où est le trône et est ramenée en sa chambre de parement en même ordre et cérémonie qu'elle avait été conduite à l'église.
Pierre Matthieu, l'historiographe du roi note : "Il faut avouer que l'on avait rien vu et que l'on ne pouvait rien voir qui égala l'ordre, la beauté et la majesté de cette action. On s'étonnait de tant de silence en une si grande multitude, tant de révérence aux saints mystères entre personnes de différentes religions, tant d'ordre et de constance parmi les esprits dont la patience ne peut se contraindre aux cérémonies de longue attente et de grande attention, les uns étant là depuis le commencement de la nuit, les autres depuis le point du jour. Quand le roi vit la reine, il dit ne l'avoir jamais vue si belle..."
La reine elle-même confia : "C'était comme le paradis. N'est-il pas vrai que la cérémonie de mon sacre a été semblable en beauté à l'ordre divin du Paradis ? "
Le lendemain, 14 mai 1610, Henri IV était assassiné...
Le pinceau de Rubens a immortalisé le moment central du couronnement. C'est un des rares tableaux du cycle consacré à la vie de Marie de Médicis qui a été voulu et traité comme une exacte peinture d'Histoire et non pas comme une représentation allégorique des événements. Le peintre s'efforce de rendre avec exactitude le physique des participants, la réalité des poses et du décor (voûtes et ogives de l'abbatiale). La volonté de livrer au spectateur l'équivalent d'un document d'Histoire nous est donc précieuse.
Le pinceau de Rubens met également en valeur la légitimité acquise par la reine en donnant naissance aux enfants de France. Le dauphin intervient avec vivacité et curiosité, contemplant le moment précis du couronnement.
Face au dauphin, Rubens met en avant Madame Elisabeth, aînée des filles de France : elle regarde le spectateur droit dans les yeux, comme pour l'impliquer dans le triomphe de sa mère.
Au troisième rang, la reine Margot, couronne en tête, est mise en position subordonnée, comme pour ôter tout doute sur la validité de l'annulation du premier mariage avec Henri IV.
César et Alexandre de Vendôme, paraissent avec le sceptre et la main de justice.
A noter la sureprésentation de la parentèle de Lorraine : quatre des sept princesses portant la traine de la reine, ainsi que le duc de Guise qui est au premier rang sur l'estrade réservée au Grands, avec son cousin Elbeuf en contrebas qui fait office de grand maître de France.
On remarquera enfin, juste derrière la reine, en retrait, le premier écuyer de Marie de Médicis, un certain Concino Concini...