Saint-Denis, cimetière des Rois
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 Le récit des profanations par Henri-Martin Manteau

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Linceul royal
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Linceul royal


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Date d'inscription : 23/03/2011
Localisation : Abbaye de Saint-Denis

Le récit des profanations par Henri-Martin Manteau Empty
MessageSujet: Le récit des profanations par Henri-Martin Manteau   Le récit des profanations par Henri-Martin Manteau Icon_minitimeLun 4 Avr - 21:26

study

LES PROFANATIONS DU LUNDI 14 OCTOBRE 1793, PAR HENRI-MARTIN MANTEAU

Le témoignage de Henri-Martin Manteau est l'un des plus importants sur la violation des sépultures royales par les révolutionnaires en 1793. Avec ceux de Dom Poirier, Dom Druon, Alexandre Lenoir et de quelques autres, ce témoignage est le plus précis mais portant sur un temps très court : une seule journée. Il n'a donc assisté qu'à la chute des corps suivants dans la fosse commune : Henri IV, Louis XIV, Louis XIII, Marie de Médicis, Anne d'Autriche, et de Marie-Thérèse d'Autriche.
Manteau était au moment des faits contrôleur du dépôt des transports militaires établi dans les bâtiments de l’ancienne abbaye de Saint-Denis. Par une heureuse coïncidence, il avait retrouvé à Saint-Denis Dom Druon dont il avait été élève au collège de Laon. C’est grâce à la complaisance de ce religieux qu’il put pénétrer le lundi 14 octobre 1793 dans le caveau des Bourbons et assister aux premières profanations des cercueils qui s’y trouvaient. Il réussit à descendre dans la fosse commune creusée dans le cimetère au Nord de l’église, puis déroba pieusement quelques parcelles des corps royaux : un ongle de Louis XIV, un ongle d’Henri IV, des cheveux de Marie de Médicis. En 1816, Manteau, devenu bibliothécaire de la ville de Laon, remit à Louis XVIII ces reliques sur les conseils du marquis de Nicolay, préfet de l’Aisne. Il joignit à da restitution le récit détaillé de ces événements. Une enquête poussée permit de garantir le sérieux des souvenirs de Manteau, homme probe et rigoureux.
C’est lors de l’inhumation de Louis XVIII à Saint-Denis le 25 octobre 1824 que trois boites contenant les reliques furent amenées à Saint-Denis, en présence du Prince de Croy, grand aumônier de France, de l’abbé de Grand-champ, doyen de Saint-Denis, du baron de La Ferté, directeur de cérémonies de la cour et du chanoine de Cugnac, gardien des tombeaux. Elles furent déposées dans l’Armoire des Cœurs au fond de la crypte et y restèrent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Après les travaux de l’architecte Formigé et la destruction de l’Armoire des Coeurs, elles gagnèrent les étagères de l’actuelle chapelle des Princes où elles se trouvent toujours... à l’exception des cheveux de Marie de Médicis qui semblent avoir disparu vers 1980.

Le témoignage de Manteau figure sur certains sites ou forums dans une version déformée et un style qui n’a rien à voir avec l’original. Le récit a été ici rétabli dans sa forme primitive, celle de la Restauration.




RECIT DE MANTEAU


"Je soussigné Henri-Martin Manteau aîné, domicilié à Laon, département de l'Aisne, bibliothécaire de la mairie de ladite ville, déclare dans ma conscience la véracité des faits qui suivent.

Je suis le possesseur de parcelles et fragments extraits des corps exhumés dans l’église de Saint-Denis en 1793. Ces objets sont :
1) L’ongle du pouce de la main droite de Louis quatorze ;
2) L’ongle du pouce du pied droit de Henry quatre ;
3) Des cheveux de Marie de Médicis, femme de Henry quatre ;

Voici le détail des circonstances et particularités relatives à cette exhumation dont j'ai été le témoin oculaire. J'exposerai comment je suis parvenu à faire l'extraction des restes que j'ai religieusement conservés.

J'exerçais en 1793 les fonctions de contrôleur du dépôt des transports militaires, établi dans l'ancienne abbaye de Saint-Denis. Je résidais dans la même enceinte. Un ancien religieux de la congrégation de Saint-Maur y avait trouvé asile. C’était Dom Charles Druon, d’abord prieur de l’abbaye de Rebais, célèbre par son école militaire, en dernier lieu prieur de l’abbaye Saint-Jean de Laon et principal du collège qu’on y avait récemment établi. Je reconnus en lui mon ancien maître.
Dom Druon avait obtenu pour sa sauvegarde le titre d’archiviste ou gardien du chartrier, précieux dépôt des monuments et chartes antiques qui remontaient au temps de la fondation de cette première abbaye de France
Nous étions liés par la conformité des opinions et des sentiments. Nous gémissions ensemble des horreurs de la profanation exercée sur les restes sacrés de tant de rois qui représentaient les différents âges de la Monarchie.

Je témoignai à Dom Druon le désir de visiter le caveau des sépultures royales; il me conduisit dans l'église par une petite porte de communication située dans l'intérieur de l'abbaye. Nous vîmes tous les magnifiques tombeaux, ces monuments des arts, dispersés et mutilés par les mains du vandalisme.
Nous descendîmes dans le caveau des Bourbons, dont les voûtes sépulcrales, éclairées de torches, retentissaient des cris d'une troupe sacrilège.

On venait d'ouvrir le cercueil de Marie de Médicis qui mourut à Cologne et dont le corps fut transféré à Saint-Denis. Il était en putréfaction liquide. Les ouvriers avide du plomb destiné à la fonderie s’empressaient de ramasser avec des pelles la matière fangueuse dont la couleur et la consistance ressemblaient au mortier de ciment. La tête de cette reine était entière et garnie de beaucoup de cheveux. Aussitôt j'entendis les imprécations des ouvriers et autres assistants qui accusaient cette princesse du meurtre de son époux; je ne discuterai pas ce point d'histoire réservé à la plume, à la critique judicieuse de nos annalistes modernes. Cette rage, ces imprécations signifiaient néanmoins un hommage très énergique rendu à la mémoire de Henri IV toujours chérie, malgré la haine prononcée contre le nom de roi.
Les ouvriers, animés pour ainsi dire par un esprit de rage, arrachèrent et distribuèrent au hasard les cheveux de cette reine. Je tendis, au milieu du groupe, une main incertaine, qui parvint à en saisir une petite touffe que j'eus soin de conserver. Dans le même temps, on ouvrit le cercueil d'une princesse qui ne fut pas nommée; le corps était putrifié, une étoffe très épaisse et de couleur rousse annonçait une abbesse ensevelie avec l'habit de son ordre. (Ce corps était celui d'Anne d'Autriche, morte en 1666 et ensevelie en costume du tiers ordre de Saint François).

J'aperçus nombre de cercueils placés chacun sur deux barres de fer parallèles, ils avaient des formes différentes, quelques-uns figuraient la tête dans la partie supérieure, ensuite le cou par le rapprochement des côtés et les épaules par une plus grande dimension; le reste du corps se terminait en gaine comme les momies d'Egypte.

Toujours sous la conduite de Dom Druon, je portai mes pas vers le cercueil ouvert de Turenne, placé sous une arcade, la tête vers la gauche, les pieds à droite - les curieux s'y étaient réunis. Le linceul replié sur les deux côtés et formé d'une étoffe de satin, laissait voir le corps dans un état parfait de conservation, la bouche ouverte, présentant presque toutes les dents; on observa que quelques-unes avaient été détachées. C'est ce qui peut avoir lieu à l'ouverture très prononcée de la bouche. Je crus remarquer, au bas des côtes, à gauche, un dérangement des chairs qui semblait désigner l'endroit frappé par le coup de canon qui ravit ce héros à la France. Ceci a pu être le sujet d'un examen particulier pour la personne qui, par un pieux artifice, fit de ce corps une momie oubliée jusqu'au jour où un tombeau digne de ce grand homme rendit son ombre présente à nos anciens guerriers.
Telle fut la première scène dont je fus témoins et qui prépara mon esprit à un spectacle plus frappant et plus déplorable. Je sortis du caveau avec mon respectable guide et je revis la lumière qui semblait pâlir comme les torches éclairant les voûtes que je venais de quitter. Dom Druon me conduisit au cimetière attenant à l’église vers le Nord.
Le corps du grand homme serait allé rejoindre ceux des Bourbons dans la fosse commune sans l'intervention de plusieurs assistants. (1)

Le récit des profanations par Henri-Martin Manteau 2czy32b
Au Nord de la basilique, les fosses communes ont été creusées.
La fosse dite des Valois est à gauche, celle des Bourbons en haut à droite
(emplacements représentés par un rectangle hachuré)

Là, on avait creusé une large fosse pour y jeter confusément tous ces corps exhumés et assurer leur destruction totale comme si les restes de ces rois inanimés importunaient encore les farouches apôtres d’une liberté fantastique ; mais je ne voyais dans ce moment que les exécuteurs et les aveugles instruments des arrêts barbares de nos affreux dominateurs ensevelis eux-mêmes aujourd’hui sous les laves brûlantes du volcan révolutionnaire.

Déjà on avait apporté et jeté dans cette fosse le corps de Henri IV et celui de Louis XIII.

Le premier était resté pendant douze heures dans la chapelle basse, exposé à la vénération des uns, à la curiosité du plus grand nombre. Il semblait qu’il dut échapper à la destruction ; mais comme roi, Henri IV fut proscrit ainsi que les autres, et condamné à périr une seconde fois entre des mains régicides. On remarquait, dans les dissertations, la variété et même les nuances des opinions populaires que la contrainte plutôt que le sentiment faisait exprimer. L’éloge d’Henri IV eût été alors un crime, un acte liberticide.
Les deux princes étaient placés dans la fosse l'un à côté de l'autre. Louis XIII à la droite de Henri IV, mais en sens inverse pour l'observateur. Louis XIII ne fut nommé que pour faire connaître son corps aux commissaires qui verbalisaient. Il était mince de corps et de taille médiocre; la stature de Henri IV était moyenne et les épaules larges. (2)

Tout à coup, on apporta et on déposa sur l'herbe un grand cercueil qui en couvrait un autre ; l’un était de chêne et l’autre de plomb; l'inscription fixée sur le haut de la partie latérale à gauche et que j'ai lue, annonçait le corps de Louis XIV.
A l'ouverture de ce cercueil, on reconnut ce monarque. Sa haute taille, son âge au temps de sa mort et ces mêmes traits caractéristiques que les arts ont fait revivre; le corps, bien conservé, était d'une couleur d'ébène. On développa une très longue bandelette qui entourait le cou pour mieux assujettir la tête; il semblait que jusque dans la mort, ce prince commandait le respect et que, par la sévérité de ses traits, il menaçait alors ses profanateurs. Incertains quelques instants et bientôt indignés de cette majesté survivante à elle-même, ils s'empressèrent de précipiter le corps dans la fosse commune. Il tomba sur celui de Henri IV, le couvrit presque tout entier et lui servit comme de rempart pour le dérober à de nouveaux outrages.

Nos deux plus grands princes furent ainsi réunis : ce fut une consolation pour leurs ombres.

Il se passa un assez long intervalle, qui permit aux spectateurs de satisfaire leur curiosité. Plusieurs descendirent dans la fosse avec une échelle appliquée sur une des extrémités. J'y descendis moi-même pour contempler les traits historiques de ces monarques dont les règnes ont occupé la renommée pendant un siècle et demi et assuré la gloire de la monarchie.
Non content d’une froide et stérile contemplation j’eus voulu envelopper d’un nuage mystérieux et soustraire au néant ces images encore vivantes de la royauté ; mais le zèle et la pensée n’opèrent pas de miracles.
En vain, je m'approchai religieusement et à plusieurs reprises de ces corps serrés, en vain, d'une main timide, je soulevai les bras, les jambes même, toutes parties solides et d'une parfaite consistance; je n'osai entreprendre un pieux larcin dont l'acte ostensible eût fixé l'attention des commissaires dont j' observais les mouvements.

Il me fallut feindre l'indifférence du vulgaire en portant la main sur la bouche de Louis XIV pour détacher furtivement une de ses dents; ce fut sans succès, à cause de l'adhérence des lèvres. Enfin, après un moment d'hésitation, je saisis à la main droite un ongle qui se détacha facilement. Encouragé par ce début, je ne voulus pas me retirer sans avoir quelque fragment de Henri IV. Son corps un peu découvert par la position transversale de celui de Louis XIV présentait le pied droit; je saisis l'ongle du pouce... Il me fallut me borner à cette légère dépouille, qui pour moi était un trésor, et je sortis de la fosse pour jouir en sûreté de cette conquête, obtenue non sur des morts, mais sur des vivants dont j’avais trompé les regards inquisiteurs.

Au même instant, je vis descendre un charretier du dépôt, dont le dessein n'était pas équivoque - c'était pour outrager de nouveau Louis XIV qui, dans le sein de la terre, ne devait plus redouter aucune main profane. Cet homme lui fit avec son couteau une large entaille au ventre du prince; il en retira une grande quantité d'étoupe qui remplaçait les entrailles et servait à tenir les chairs. Avec le même instrument il ouvrit la bouche qui était aussi garnie d'étoupe. Ce spectacle donna lieu aux bruyantes et insultantes acclamations de la multitude.

Aussitôt on apporta une autre victime du vandalisme : c'était celle de Marie-Thérèse d'Autriche, épouse de Louis XIV. Elle fut condamnée à cette même et peu digne sépulture. Son corps bien conservé fut précipité sur celui de Louis XIV ; il tomba dans la fosse d'une manière qui signalait l'outrage; la tête, renversée, se trouva prise entre les parois de la fosse, tandis que les jambes étaient élevées presque perpendiculairement. La taille de cette princesse était petite; j'ai remarqué la délicatesse de ses pieds.

Ces quatre corps réunis furent les seuls que j'ai vus dans la fosse. Tous ceux qui restaient dans le caveau plus ou moins conservés, vinrent ensuite combler cet abîme qui parut engloutir, avec ces rois, toutes les générations qu’ils avaient gouvernées. La chaux vive fut employée pour consumer jusqu’aux éléments de ces corps que le temps avait épargnés ; et c’est en vain qu’on chercherait aujourd’hui les moindres vestiges.

Pour ne rien omettre de cette scène, je dirai qu'une femme, que je présumai être l'épouse d'un des commissaires, assise sur une pierre près de la fosse, prenait des notes avec un crayon. C' est ce personnage qui me donna le plus d'inquiétude lors de mes tentatives de soustraction. Les commissaires, donnant des ordres, se précipitaient partout alternativement, et leurs regards ne venaient pas toujours importuner mon entreprise.

Enfin, je quittai le cimetière. Dom Druon s’était retiré pendant ma longue station pour remplir ses devoirs religieux ; j’allai le rejoindre et lui présenter mes riches dépouilles, en lui rendant compte de toutes les circonstances.
Je n’ai pu dans ces temps de terreur lui demander sa signature, pour servir d’authentique. Le secret devait être renfermé dans notre pensée. Lorsque dans un temps plus calme j’aurais pu sans danger me procurer son attestation écrite, le vénérable vieillard n’existait plus ( Dom Druon est mort à Saint-Denis le jeudi 2 juin 1796) Séparé de lui par mon éloignement de Saint-Denis, j’appris sa mort subite causée par les fatigues que lui imposaient son zèle apostolique, dans les premiers moments de la liberté rendue au culte. [...]



Fin de l'extrait. On pourra lire la suite, complète, par le lien suivant :
http://fr.calameo.com/read/00010704450a1a0333cc3


(1) " Il fut remis, dit le Dr Billard au gardien ( de l'édifice ) nommé Host, qui conserva cette momie dans sa boîte et la déposa dans la petite sacristie de l'église. Il exposa les restes du héros pendant plus de huit mois aux regards des curieux moyennant une petite rétribution. " Cet homme se permit même tout un trafic. Il ôta toutes les dents de Turenne pour les vendre tour à tour aux visiteurs. Au nombre de ceux-ci, se trouva un jour Camille Desmoulins. Le jeune orateur révolutionnaire voulut posséder un souvenir du grand Capitaine, et à défaut de dents, épuisées, se fit céder un doigt, que Host détacha du cadavre desséché.
L'année suivante, en messidor an II, un professeur du Muséum se trouvant au nombre des visiteurs du cadavre de Turenne, fut frappé de la conservation du corps. Il réclama la momie qui fut déposée dans une galerie d'histoire naturelle du jardin des Plantes, entre les restes d'un éléphant et d'un rhinocéros. Ce ne fut qu'en 1800 et sur l'ordre du Premier Consul, que le corps du grand Capitaine fut transféré aux Invalides.

(2) Puisque Manteau n'était pas présent à l'ouverture du cercueil de Henri IV le samedi, reportons-nous sur ce point à la relation de Dom Druon :
"Lorsque l'on fit sauter à coups de marteau le cercueil de Henri IV, le corps du roi apparut enveloppé d'un suaire blanc encore intact. On dégagea la tête; le visage de Henri était admirablement conservé, la barbe presque blanche, les traits à peine altérés. On le dressa contre un pilier, et chacun eut la liberté de le contempler. Les scènes les plus diverses se produisirent. Un soldat se précipita sur le cadavre et, tirant son sabre, coupa une longue mèche de la barbe royale, qu'il plaça sur ses lèvres en guise de moustache. Une mégère à la figure hautaine, voulant braver le vainqueur d'Ivry, avança le poing vers le visage du toi, et le souffleta si fort que le corps tomba à terre."

Le récit des profanations par Henri-Martin Manteau 2n9e1s8
L'emplacement des deux fosses où furent jetés les corps des rois, reines et princes de France. Elles étaient creusées entre les anciennes fondations de la rotonde des Valois, devant le portail Nord de la basilique.
Un dallage délimite les anciennes bases de celle-ci depuis la fin des années 1990.


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